K :
La méditation est-elle un moyen d’échapper à ses propres
problèmes, et d’éluder les faits réels, auquel cas ce n’est
pas du tout de la méditation ? Ou bien la méditation
consiste-t-elle à comprendre le problème de l’existence ?
Plutôt que de l’éluder, mieux vaut comprendre la vie quotidienne
avec tous ses problèmes. SI cela n’est pas compris, clairement
réglé, j’aurai beau aller m’asseoir dans un coin pour suivre
les directives d’un gourou qui m’enseigne la méditation
transcendantale, ou une autre forme absurde de méditation, tout cela
n’aura aucun sens.
Qu’est-ce
donc que méditer, qu’est-ce que cela signifie ?
J’espère
que je ne vous aurai pas rendu la réponse trop difficile, en
réfutant ainsi toutes ces formes de méditation, en refusant les
pratiques répétitives de formules, comme cela se fait en Inde, au
Tibet et dans le monde entier, cette répétition sans fin d’Ave
Maria ou d’autres paroles, ressassées sans fin, et dénuée de
sens. Cela finit par abêtir l’esprit de façon grotesque.
Pourquoi
devrions-nous méditer ?
CT :
Ne pensez-vous pas que la méditation est l’un des événements
faisant partie de la vie d’un homme ?
K :
Monsieur, chaque être humain est en butte à des problèmes
innombrables. Il doit d’abord les résoudre, ne croyez-vous pas ?
Il doit mettre de l’ordre en sa propre demeure, cette demeure étant
le "moi" - mes pensées, mes sentiments, mes
angoisses, ma culpabilité, ma souffrance : je dois mettre de
l’ordre dans tout cela. Car sans cet ordre, comment puis-je aller
plus loin ?
CT :
Le problème, c’est qu’on essaie à la fois de résoudre le
problème, et de chercher aussi l’ordre – n’est-ce-pas la
promesse d’un chaos encore accru ?
K :
Dans ce cas je cesse de rechercher l’ordre. J’explore ce qu’est
le désordre, et je cherche à savoir d’où vient de désordre ;
je renonce à trouver l’ordre, car alors les gourous et toute la
clique entrent en scène ! Ce dont j’ai envie, ce n’est pas
de l’ordre, mais de découvrir pourquoi la vie est si pleine de
désordre, et de chaos. C’est à chacun de le découvrir.
CT :
Mais cette découverte n’est pas d’ordre intellectuel.
K :
L’intellect fait partie de notre structure globale, on ne peut pas
disqualifier l’intellect.
CT :
Mais on ne peut pas se servir de l’intellect pour résoudre des
problèmes intellectuels.
K :
Non, ces problèmes ne peuvent être résolus à aucun niveau, si ce
n’est en totalité.
CT :
Oui, c’est tout à fait exact.
K :
En d’autres termes, monsieur, pour résoudre le problème du
désordre, la méditation – au sens ordinaire du terme – est-elle
indispensable ?
CT :
Pas la méditation au sens ordinaire, au sens conventionnel ; ce
qu’il faut, c’est une méditation hors de l’ordinaire.
K :
Si je puis me permettre … qu’entendez-vous par là ?
CT :
La méditation hors de l’ordinaire consiste à voir le désordre
comme faisant partie d’une certaine forme d’ordre.
K :
Voir le désordre.
CT :
Voir le désordre en tant qu’ordre, si vous voulez.
K :
Ah non. Voir le désordre, c’est tout.
CT :
Mais si l’on voit le désordre, il devient un ordre.
K :
Il faut que je le voie.
CT :
Je dois le voir clairement.
K : Tout dépend, donc, de la façon dont on observe le désordre.
CT :
Il ne faut pas vouloir le résoudre.
K :
Oui, c’est cela la méditation. Donc, c’est en observant le
désordre –et la méditation consiste essentiellement en cela -,
c’est dans l’observation du désordre qu’est l’ordre, mais
pas un ordre issu de l’intellect. La méditation n’est donc pas
la quête d’une expérience personnelle. Ce n’est pas un
accomplissement personnel, le but étant de siéger un jour auprès
de dieu. Cela fait penser à ces gens qui parcourent les rues en
dansant, en chantant, en répétant « Hare Krishna ! »
- l’ordre ce n’est pas cela. Au contraire, ces gens-là suscitent
un désordre colossal ! Je n’aurai jamais de mots assez durs,
c’est vraiment une terrible calamité de voir les gens se livrer à
de telles pratiques. La méditation est-elle une pratique
quotidienne, ce qui suppose de se plier à un schéma établi,
s’astreindre à limitation, au refoulement ?
Vous
savez très bien tout ce que sous-entend le conformisme. Cette
soumission à un modèle, quel qu’il soit, peut-elle jamais mener
quiconque à la vérité ? Evidemment non.
Donc,
si l’on voit réellement – pas simplement théoriquement, mais de
manière effective- la fausseté de cette mise en pratique d’un
système, fut-il noble ou absurde ; si l’on comprend que cela
n’a pas de sens, alors que reste-t-il de la méditation ?
Krishnamurti
en questions
Livre
de poche
Silence!
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