Le
réel changeant
Confrontation
aux mensonges
La
vie d'un homme
Georges
Bernanos
"Mais déjà le grand vent noir qui vient de l'est éparpille et voit dans la nuit" Nouvelle histoire de Mouchette.
"Chacun
de mes livres est une trappe où je suis tombé et d'où je ne suis
même pas sûr d'être remonté, car je ne me suis jamais tout à
fait délivré d'un livre, ou aucun de mes livres ne m'a jamais
délivré, les deux termes sont équivalents. Le souvenir de ce que
j'ai souffert reste en moi si douloureux que je n'ose pas les relire
et d'ailleurs le plus souvent -- c'est le cas encore aujourd'hui --
je n'ai pas d'exemplaire chez moi. Je ne les relis pas, il m'arrive
seulement de les entrouvrir, je n'y entre que de biais, j'y avance
pas à pas, avec prudence, hanté par la pensée d'entendre le déclic
fatal, de me voir de nouveau enfermé là-dedans, d'y retrouver les
images dessinées jadis par moi sur le mur et l'odeur de mes
insomnies.
Un
désespoir inflexible qui n'est peut-être que l'inflexible refus de
désespérer.
Je
viens d'écrire ce mot de désespoir par défi. Je sais parfaitement
qu'il ne signifie plus rien pour moi. Autre chose est souffrir
l'agonie du désespoir, autre chose le désespoir lui-même. C'est là
une vérité que je dois à certains garçons peu réfléchis
disposés à se tromper non moins grossièrement sur l'espérance que
sur l'amour. Je voudrais les mettre en garde contre les charlatans
dont le faux espoir n'est qu'un lâche prétexte à ne pas courir le
risque de la véritable espérance. Car l'espérance est une
victoire, et il n'y a pas de victoire sans risque. Celui qui espère
réellement, qui se repose dans l'espérance, est un homme revenu de
loin, de très loin, revenu sain et sauf d'une grande aventure
spirituelle, où il aurait dû mille fois périr.
J'ai
toujours mieux aimé courir la chance affreuse -- et je crois pour
moi mortelle -- de ne plus aimer mon pays que de ne pas le voir tel
qu'il est, de m'attendrir sur une fausse image faite pour moi, faite
par moi, de tromper mon pays avec moi-même, comme Onan trompait son
épouse. Un certain amour de la France a toujours été sous le signe
d'Onan.
Celui
qui, un soir de désastre, piétiné par les lâches, désespérant
de tout, brûle sa dernière cartouche en pleurant de rage, celui-là
meurt, sans le savoir, en pleine effusion de l'espérance.
L'espérance c'est de faire face.
Que
m'importe de savoir si j'ai ou non l'espérance ? Il me suffit d'en
avoir les œuvres. Si j'ai les œuvres de l'espérance, l'avenir le
dira. L'avenir dira si chacun de mes livres n'est pas un désespoir
surmonté. Le vieil homme ne résistera pas toujours; le vieux
bâtiment ne tiendra pas toujours la mer; il suffit bien qu'il puisse
se maintenir jusqu'à la fin debout à la lame, et que celle qui le
coulera soit aussi celle qui l'aura levé le plus haut.
On
me demande souvent : "Où avez-vous pris ce personnage ? Comment
cette idée vous est-elle venue ?" Je n'ai jamais pris de
personnage, c'est le personnage qui m'a pris. Aucune idée n'est
jamais venue à moi, j'ai toujours été à elle, et le plus souvent
comme à une ennemie, les dents serrées, avec plus de résolution
peut-être que de véritable courage. Lorsque je regarde mes pauvres
brouillons couverts de ratures et de surcharges, zébrés de traits
rageurs pareils aux marques laissées par la cravache ou les ongles
sur un visage haï, coupés de blancs qui ont l'air de demander
grâce, qui révèlent l'endroit où j'ai rompu, et même rompu en
désordre, je pense à un terrain piétiné par une rixe, quand le
cadavre vient d'être enlevé par la police ... Je sais bien qu'une
pareille confidence ne me fera pas beaucoup d'honneur auprès des
petits agrégés débrouillards qui sous un nom ou sous un autre
confectionnent chaque matin pour la presse un éditorial unique et
interchangeable, dans le meilleur style noble des canulars d'école.
Mais ce n'est pas à eux que je pense. Je pense à ces lettres que je
reçois chaque jour, aussi différentes entre elles qu'un regard d'un
autre regard. Quoi qu'il arrive, devant tous ces regards, je ne
baisserai jamais le mien, je soutiendrai ces regards, jusqu'au bout,
je ne les trahirai pas".
D'autres videos :
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/ZgpvU1DKGco
https://youtube.com/playlist?list=PLh1vzUvjhuuZwyr4Aft5S4zFGUFx7Xi9R
« Rien ne me réconcilie, je suis vivant dans votre nuit abominable, je lève mes mains dans le désespoir, je lève les mains dans la transe et le transport de l'espérance sauvage et sourde ! » (Paul Claudel, Cinq Grandes Odes)
Encore une vidéo qui a disparu !
SupprimerMerci Mala :)
En voici encore une autre: Georges Bernanos, temoin de notre temps. Avec Henri Guillemin (04.11.1974)
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/qF4UuwpZUqc