dimanche 12 juin 2016

Témoins de "notre temps"

Le réel changeant
Confrontation aux mensonges
La vie d'un homme
Georges Bernanos
"Mais déjà le grand vent noir qui vient de l'est éparpille et voit dans la nuit" Nouvelle histoire de Mouchette.



 
"Chacun de mes livres est une trappe où je suis tombé et d'où je ne suis même pas sûr d'être remonté, car je ne me suis jamais tout à fait délivré d'un livre, ou aucun de mes livres ne m'a jamais délivré, les deux termes sont équivalents. Le souvenir de ce que j'ai souffert reste en moi si douloureux que je n'ose pas les relire et d'ailleurs le plus souvent -- c'est le cas encore aujourd'hui -- je n'ai pas d'exemplaire chez moi. Je ne les relis pas, il m'arrive seulement de les entrouvrir, je n'y entre que de biais, j'y avance pas à pas, avec prudence, hanté par la pensée d'entendre le déclic fatal, de me voir de nouveau enfermé là-dedans, d'y retrouver les images dessinées jadis par moi sur le mur et l'odeur de mes insomnies.

Un désespoir inflexible qui n'est peut-être que l'inflexible refus de désespérer.

Je viens d'écrire ce mot de désespoir par défi. Je sais parfaitement qu'il ne signifie plus rien pour moi. Autre chose est souffrir l'agonie du désespoir, autre chose le désespoir lui-même. C'est là une vérité que je dois à certains garçons peu réfléchis disposés à se tromper non moins grossièrement sur l'espérance que sur l'amour. Je voudrais les mettre en garde contre les charlatans dont le faux espoir n'est qu'un lâche prétexte à ne pas courir le risque de la véritable espérance. Car l'espérance est une victoire, et il n'y a pas de victoire sans risque. Celui qui espère réellement, qui se repose dans l'espérance, est un homme revenu de loin, de très loin, revenu sain et sauf d'une grande aventure spirituelle, où il aurait dû mille fois périr.
J'ai toujours mieux aimé courir la chance affreuse -- et je crois pour moi mortelle -- de ne plus aimer mon pays que de ne pas le voir tel qu'il est, de m'attendrir sur une fausse image faite pour moi, faite par moi, de tromper mon pays avec moi-même, comme Onan trompait son épouse. Un certain amour de la France a toujours été sous le signe d'Onan.

Celui qui, un soir de désastre, piétiné par les lâches, désespérant de tout, brûle sa dernière cartouche en pleurant de rage, celui-là meurt, sans le savoir, en pleine effusion de l'espérance. L'espérance c'est de faire face.

Que m'importe de savoir si j'ai ou non l'espérance ? Il me suffit d'en avoir les œuvres. Si j'ai les œuvres de l'espérance, l'avenir le dira. L'avenir dira si chacun de mes livres n'est pas un désespoir surmonté. Le vieil homme ne résistera pas toujours; le vieux bâtiment ne tiendra pas toujours la mer; il suffit bien qu'il puisse se maintenir jusqu'à la fin debout à la lame, et que celle qui le coulera soit aussi celle qui l'aura levé le plus haut.

On me demande souvent : "Où avez-vous pris ce personnage ? Comment cette idée vous est-elle venue ?" Je n'ai jamais pris de personnage, c'est le personnage qui m'a pris. Aucune idée n'est jamais venue à moi, j'ai toujours été à elle, et le plus souvent comme à une ennemie, les dents serrées, avec plus de résolution peut-être que de véritable courage. Lorsque je regarde mes pauvres brouillons couverts de ratures et de surcharges, zébrés de traits rageurs pareils aux marques laissées par la cravache ou les ongles sur un visage haï, coupés de blancs qui ont l'air de demander grâce, qui révèlent l'endroit où j'ai rompu, et même rompu en désordre, je pense à un terrain piétiné par une rixe, quand le cadavre vient d'être enlevé par la police ... Je sais bien qu'une pareille confidence ne me fera pas beaucoup d'honneur auprès des petits agrégés débrouillards qui sous un nom ou sous un autre confectionnent chaque matin pour la presse un éditorial unique et interchangeable, dans le meilleur style noble des canulars d'école. Mais ce n'est pas à eux que je pense. Je pense à ces lettres que je reçois chaque jour, aussi différentes entre elles qu'un regard d'un autre regard. Quoi qu'il arrive, devant tous ces regards, je ne baisserai jamais le mien, je soutiendrai ces regards, jusqu'au bout, je ne les trahirai pas".

3 commentaires:

  1. D'autres videos :
    https://youtu.be/ZgpvU1DKGco
    https://youtube.com/playlist?list=PLh1vzUvjhuuZwyr4Aft5S4zFGUFx7Xi9R

    « Rien ne me réconcilie, je suis vivant dans votre nuit abominable, je lève mes mains dans le désespoir, je lève les mains dans la transe et le transport de l'espérance sauvage et sourde ! » (Paul Claudel, Cinq Grandes Odes)

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    1. Encore une vidéo qui a disparu !
      Merci Mala :)

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  2. En voici encore une autre: Georges Bernanos, temoin de notre temps. Avec Henri Guillemin (04.11.1974)
    https://youtu.be/qF4UuwpZUqc

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