samedi 19 novembre 2016

Le passage entre deux mondes

Quand tu es partie, au bout de cette longue nuit
Tout est là, en moi
Tout est là, parce que le témoin était là
Il suffit que je monte sur ce fil invisible
Et j'y suis...


Tu étais entrée dans ce qu’on appelle l’agonie
Les yeux fermés, le souffle tenu serré dans le râle
C’était la nuit
Derrière la fenêtre, la silhouette de grands arbres.


Ils avaient organisé ce temps de ton agonie
Pour plusieurs jours, plusieurs nuits, un relais
Cette première nuit, c'était mère et moi
A ton chevet
Ils ne savaient pas, ne sauront jamais
Que c'était encore toi qui décidais
Cette force était en toi
Et les leçons tu les donnais d'une  façon magistrale
« Regarde petite ! »
Et je regardais... et je regarde encore
C'est cela Voir.
 
Ta respiration comme une vieille locomotive
Tchouuu... tchouuu...
Inconsciente, c'est ce qu'on dit
Mais comme tu étais là !
 
Dans un coin de la chambre
Mère et moi, nous avons parlé
Comme jamais nous ne l'avions fait
Sauf peut être, quand elle me faisait des confidences
Alors que je n'étais encore qu'une enfant
Et qu'un jour, elle a cessé de le faire.
 
Dehors, par la fenêtre, de grands arbres
Noirs, immobiles, silencieux
Puis, avant l'aube, juste à la pointe du basculement
Un vent venu, je ne sais d'où, de bien loin sûrement
Les arbres ont gémi
Et j'ai dit : « C'est la fin »
Mère s'est affolée
Nous nous sommes rapprochées de ton lit
Et n'avons plus rien dit.
 
On dit le dernier souffle
Mais c’est faux
Il y a plusieurs derniers souffles
Ils te crurent partie
Qu’il fut grand leur effroi
Lorsque ton corps expira
Le niveau des énergies subtiles.
 
Ils étaient comme des enfants apeurés
S’accrochant à un "je vous salue Marie"
Comme le naufragé s’accroche à une planche
Dans l’immensité d’un océan en furie.
 
Je fus la dernière, à te parler
Par-dessus ce vent de panique 
« Va, petite grand-mère, ne crains rien, va ! »


4 commentaires:

  1. La peur de la mort est justifiée, il me semble.

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  2. La peur de la mort ?
    Alors que la main de l'homme la donne si facilement à autrui, les animaux, l'ennemi !
    Où je vis, encerclée de mangeurs de viande, cela ne cesse jamais, qui de la poule, qui du cochon, et les cris de ces bêtes qui ne veulent pas mourir.
    Ils aiment ça, donner la mort, manger la chair morte !
    S'ils ont peur, ce n'est que de leur propre mort, avec l'image qu'ils s'en sont faite, en leur corps et en leur esprit.

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  3. Il n'y a pas de mots pour dire ce que je ressens à te lire.

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  4. "Quand je rentrais en moi, je n'y retrouverais rien :
    Là où tout était sombre, un grand soleil tournait
    Là où tout était mort, une petite source dansait
    Une femme si menue qui prenait tant de place
    : je n'en revenais pas."

    C. Bobin / Une petite robe de fête

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