jeudi 20 février 2020

Petit conte


Quand il ne fut plus possible d'ignorer que tout simplement nous nous étions trompés de chemin, les catastrophes s'enchaînant les unes au autres inexorablement, il se passa cette chose incroyable que l'on tint une grande assemblée.
Pour la première fois tous furent conviés, le dernier-né, les plus vieux même les séniles, toutes les couleurs de peaux de culture sous le même chapiteau.
Quelle cohue ! Tous voulaient prendre la voix, dire sa façon de voir, vite, vite, comme si leur vie en dépendait. Quelqu'un cria : « Il nous faut un chef ! », un autre : « Surtout pas de chef, ce sont eux qui nous ont conduit là ! ». Dans ce tohu-bohu, des mouvements comme des courants travaillant la masse, et l'on vit des petits groupes se former, quelques personnes qui avaient la même opinion se rassembler, d'autres les rejoignaient, des groupes fusionnaient jusqu'au moment où, face à face, deux groupes distinctes.

Il y eu un grand silence, cela se regardait, mauvais, dressés en rangs alignés. Le silence néanmoins en imposait à tous, alors dans chacun des deux groupes, certains prirent la parole.
Groupe A : Si nous avions su nous aimer nous n'en serions pas là, mais voilà, il fallait du profit, toujours plus de profit, écraser les petits au nom de la raison d'état !
Groupe B : Ah, parlons-en de l'amour ! Qu'avez-vous fait en son nom, la charité, vous donner bonne conscience, jouer les bisounours, gloire aux émotions charnelles, et tous ces crimes passionnels ? Sans maîtrise la vie n'est que chaos.
A : Quelle est-elle votre maîtrise ? Qui en vous maîtrise et quoi ? Votre arrogance n'a d'égale que votre ignorance, vous qui prétendez maîtriser la nature.
B : Nous aurions atteint le but si vous aviez obéi en entrant dans le contrôle de vos émotions, nos calculs sont précis, la raison pure est toute puissante.
A : Toute puissante ? Toute puissante la partie sur le tout, ce qui est limité sur l'illimité ? Pensez-vous en raison détenir toutes les informations ?

Le silence ponctuait les reproches que l'un adressait à l'autre, le silence ne cessait de travailler en chacun et l'on voyait des personnes sortir des rangs d'un groupe pour rejoindre l'autre groupe, tant et tant qu'à la fin, cela fit une danse. Plus personne pour adhérer au groupe A qui revendiquait l'amour, plus personne pour adhérer au groupe B qui prétendait la suprématie de la raison.
Une danse et c'était la musique qui menait la danse, tous entendaient le chant du monde battre la mesure en ce qu'il y a de plus profond au cœur de la matière. Tous voyaient le carrefour où la méprise avait eu lieu, alors que la terre s'était séparée du ciel, le haut du bas, avoir cru que c'était pour s'opposer l'un à l'autre, la vie contre la mort, se séparer toujours plus sans jamais plus pouvoir se retrouver. Ils riaient tous : illusion, illusion créatrice, cette danse orchestrée par le chant du monde.
Amen !




Frida Kahlo et Diego Rivera - Nightmare of War, Dream of Peace, Mexico, 1952

2 commentaires:

  1. "le chant du monde" oui, cela est l'essentiel.
    J'ai lu il y a un mois "Rien n'est noir" de Claire Berest, un hommage flamboyant à Frida Kalho.

    merci pour ce beau conte et cette belle illustration.

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