vendredi 30 juillet 2021

Des cyclones

 

L'homme préside la table, c'est le chef de la famille ici rassemblée et encore quelques fidèles et dévoués amis.

Sous la varangue cette belle assemblée prend des rafraîchissements accompagnés de pâtés créoles et autres amuses gueules. Les enfants vêtus de blancs courent autour des bassins d'eau, plongent sous les jets, se mouillent un peu mais cela sèche vite, le soleil est de retour et il fait très chaud. Dans la villa, dans une salle tendue d'écrans,  des adolescents vertualisent avec passion, tous héros de guerres, coureurs émérites, et autres champions. Cela se tue, cela se sauve, cela gagne ou perd des vies. Dans un coin, l'un d'eux, un grand escogriffe au visage émacié, au regard noir et vif, regarde les infos qui passent en boucle. Un cyclone est passé sur l'île, il a causé des dégâts bien sûr, mais cela fait 10 jours maintenant et pourtant un grand nombre de personnes sont encore sans eau, sans électricité, sans téléphone, sans internet. Le journaliste évoque les grandes difficultés pour rétablir les connexions dont tout dépend.

Soucieux le jeune homme, appelons-le Victor, se rend sous la varangue, s'approche de l'homme et l'interroge : « Mon oncle, je ne comprends pas, pourquoi tous ces gens sans électricité, nous avons tout, nous, ici. ». Éclats de rire, la naïveté l'amuse toujours beaucoup, et Victor est incurable.


Victor s'éloigne, il vient de comprendre...

Il est sorti de la villa, il a traversé ce parc magnifique où il aime marcher à la tombée du jour. Une armée d'employés de la mairie s'est affairée à tout remettre en ordre, plus rien ne parle du passage du cyclone. Le gardien, à l'entrée sud, lui a demandé où il va, d'un air décidé il a répondu : « Voir l'étendu des dégâts ». Un moment d'hésitation et le gardien fait manœuvrer le lourd portail, après tout il n'a reçu de consignes que pour empêcher d'entrer.

La route qu'il emprunte est dégagée, plus loin il fait signe à une voiture et le voici parti en direction des hauts.


Cela fait des heures qu'il marche seul, des arbres déracinés, des branches vrillées, des poteaux arrachés, couchés, ici les employés de l'oncle ne sont pas passés.

Cela fait des heures qu'il écoute le vacarme en lui. Des idées, rien que des idées ! "Je me suis laissé leurrer par leurs belles pensées ! C'est vrai, je les aime ces belles pensées, et puis je pouvais faire un tri, entre les bonnes et les mauvaises, les larges et les rétrécis, les intelligentes et les autres... Ainsi, il m'a pris pour un con !"

Vrai, il se sent profondément bafoué, méprisé... Mais ce n'est qu'une idée !

Il stoppe net sa marche « Ce n'est qu'une idée ! » Cet oncle si rassurant, avec sa voix forte de discours, sa gestuelle orchestrée, il le voit maintenant. Toutes ces années cet homme l'a moukaté, s'opposant à lui de toute sa morale, dans son habit de grand seigneur, de maître absolu détenant la vérité. Un sanglot monte et dans sa gorge un resserrement, il croit étouffer et puis non, c'est passé.

Il s'est assis à l'ombre d'un cryptoméria pendant un long moment, le discours mental s'est tu, toutes les voix écrasées, il est là, cela pense au-delà de lui.



F.Lamy - Bejisa

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