Depuis
plusieurs jours, il pleut... hier pluie et vent violents, un petit
air de cyclone sans l’œil. Le jeûne commande, il faut marcher, il
faut sortir de la maison. Il pleut à torrent ! Une accalmie, ce
n'est toujours qu'une trouée, en profiter, partir vers la cascade.
Petites
averses, la marche se prolonge au-delà de la rivière qui ne coule
pas autant qu'on aurait pu le penser, peut-être sera-t-il possible
de passer par le chemin des mésanges. Y'a pas de mésange à La
Réunion, nostalgie des petits blancs installés dans les hauts.
Coup
d’œil à l'entrée du sentier, si les herbes sont hautes je n'irai
pas me faire tremper la culotte. Ah, fraîchement coupées, les
services municipaux sont passés par là !
Je la vois, je reste
sans bouger, la regardant avancer : toute pimpante, chaussures à
petits talons, parapluie transparent. « Bonjour ! Le
chemin est-il praticable ? ». Elle vient de passer à ma
hauteur, me répond que oui, il y a un peu d'eau, mais je pourrais
sauter sur les pierres pour ne pas mouiller mes baskets.
« Merci ! »
J'avance, quand je l'entends derrière : « En ballade ?
Sans les chiens ? ». C'est à peine si je me retourne pour
lui dire que les chiens sont morts.
Elle
veut en savoir plus, comment cela se fait, pourquoi...
Nous
faisons ces quelques pas qui nous séparaient, nous les faisons l'une
vers l'autre.
La mort, les chiens, c'est le fil, les chiens, elle me parle de ceux de son amie l'anglaise. Oui je la connais, mon fils a été son voisin, il a habité là-haut. Les chiens de son amie l'anglaise, elle ne s'est pas ce qu'ils sont devenus, ils ont disparu. Elle tire le fil, les chiens, la mort.
Son
amie l'anglaise, elle est morte.
« Elle
est morte ? Quand ça ? »
Il
y a quelques mois, elle est morte et son mari aussi. D'abord lui,
d'une crise cardiaque. Elle l'a appelée, au téléphone elle
disait : « Philippe est mooort ». Elle ne comprenait pas
« moooort », avec son accent anglais ! Il était là, tout
étendu.
Et
puis un autre jour, Agnès, son amie l'anglaise, l'a appelée à
nouveau, elle voulait la voir, son cancer avait repris, elle se
sentait seule, son mari lui manquait, pas d'ami ici, qu'elle. « Je
lui ai dit, peut-être seras-tu fâchée, mais je te le dis le
cancer, moi je ne peux plus ! ». Et voilà, elle n'a pas
été voir Agnès.
Quelques
semaines plus tard, elle a fait une rupture d'anévrisme, à
l’hôpital les médecins ont répondu à ses enfants qui habitent
en métropole : « Vous pouvez venir, de toute façon elle
sera morte ». Bon, ça c'est qu'elle dit, peut-être que le
médecin n'a pas dit tout à fait en ces termes.
Et
puis... elle n'est pas morte !
Elle était encore à l’hôpital que son fils, lui dit :
– Ta
copine, elle est là.
– Ma
copine ?
– Oui,
l'anglaise.
– Ah
mais ce n'est pas une copine, une amie !
– Elle
est là.
– Où
ça ?
– A la morgue.
Excellente narration, au final on se retrouve toujours quelque part quand bien même on est seul dans le passage...
RépondreSupprimerça, ... aucune assurance qu'"on se retrouve toujours quelque part"
Supprimer:)
On se retrouve quelque part au royaume des morts, un jour ou l'autre,
RépondreSupprimerchacun à son heure, et de ce quelque part dans ce royaume-là, nul témoin...
:) des concepts, des images pour se rassurer encore...
SupprimerLà où il n'y a pas de témoin, nous ne pouvons rien, absolument rien en dire.
Enfin si nous disons, l'illusion ...
Rester sans bouger devant : "je ne sais pas".