Petit
Tom regarde avec insistance sa mère-grand : « Mamy, fais
moi rêver ! »
« Mince
alors, se dit la grand-mère, d’habitude ce sont les enfants qui
inventent des histoires. »
Elle
réfléchit un peu, peut être bien qu’il ne s’agit pas
d’inventer, mais de raconter ?
« Oui,
oui, raconte-moi quand tu étais petite ! »
Les
voici, assis dans le grand sofa rouge, bien confortables dans les
vieux coussins, et la voix grave, un peu rauque, raconte.
« J’étais
petite comme toi, j’allais en vacances chez ma grand-mère,
Mariette. Avec le papet, ils avaient une ferme, deux vaches, deux
chevaux, un cochon, des poules, des canards, des lapins et des rats
qui couraient le grenier, ah, il y avait aussi un chien.
Les
chambres n’étaient pas chauffées et l’hiver il faisait bien
froid, alors Mariette mettait dans le four de la cuisinière une
brique qui devenait bouillante. Elle l’enveloppait de papier
journal, et glissait le tout, entre les draps. Quand l’heure de
se coucher venait, le lit était bien douillet, et longtemps les
pieds gardaient le contact chaud.
Au
petit matin frileux, comme il était difficile de sortir de cette
couche, je regardais longtemps à travers la lune des volets le jour
se lever.
– la
lune des volets ?
– oui,
dans les volets en bois, il y avait une ouverture en forme de
croissant de lune.
– tu
mettais des couches ?
– mais
non, ballot, c’est un mot pour dire le lit. Pas l’objet, mais là
où il fait si bon y être. »
Petit
Tom sourit, et se pelotonne un peu plus encore, il aime, ces mots
bizarres que mère-grand utilise comme des ustensiles de cuisine, il
aime la chanson de sa voix qui monte et descend, agite comme la
cuillère la soupe. Il rit : parfois même, des éclaboussures !
« Encore
mamy !
– ah,
je commence à être fatiguée de parler ! »
Petit Tom se serre encore
un peu plus, alors ...
« Ma
grand-mère Mariette, avait donc deux vaches, chacune avait un
prénom, elle les aimait avec affection. Elle aimait tous les
animaux, et pourtant, elle tuait le pigeon en l’étouffant dans ses
mains. C’était curieux, ce n’était pas cruel, je crois bien
qu’elle faisait cela avec amour.
Le
matin, elle emmenait les vaches au prés, les rentrait le soir à
l’étable où elles passaient la nuit. Bien sûr j’allais avec
elle, et tout allait bien, sauf si nous rencontrions quelques
voisins, je n’aimais pas les gens, je n’aimais pas dire bonjour.
Mais ce qui était bien, c’est que Mariette ne m’embêtait pas
avec ça, elle ne disait pas : Dis bonjour Michelle, dis
bonjour ! Tu seras punie, Michelle !!!! ».
Et
les voilà, partis à rire sur le sofa rouge.
« Le
soir, elle les trayait ses vaches, moi je m’installais dans le fond
de l’étable sur le tas de foin, et je lisais, des livres
interdits.
– des
livres interdits ?
– oui… »
Les
yeux plissés de rides, brillent de malice.
« Y’avait
la voisine, Mme Bignon, qui lisait des romans feuilletons d’amour
et qui les donnait à grand-mère. On m’interdisait ce genre
de lecture, mais Mariette me les filait en douce.
Ahhhh,
comme il faisait bon dans l’étable, cette bonne odeur de foins
mêlés, la chaleur des bêtes, le travail paisible de Mariette, la
giclée de lait dans le seau en métal, le déplacement d’air dans
le balancement des queues de vaches… »
Petit
Tom, a fermé les yeux, non il ne s’est pas endormi, il est là-bas
dans l’étable, Mariette, les vaches…
La
giclée de lait, ne claque plus le vide du seau, elle rebondit dans
la douceur blanchâtre qui mousse peu à peu.
Velluet Louis Adolphe Alphonse
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