Il a plu, une bonne partie de la nuit. Dans le dortoir chaleur et moiteur, impossible de trouver le sommeil.
Le
couple de pèlerins a déjà pratiqué ce chemin, ils me conseillent
d’emprunter la route plutôt que le Gr, qui sera boueux et glissant.
Le départ se fait sous de fines gouttes, et peu à peu des trombes d’eau.
Lorsque les camions passent à vive allure, c’est la douche. Je dégouline de la tête aux pieds.
A midi, je prends refuge dans un abri bus de la zone industrielle de St Jean Pied de Port …
La
pluie quand elle bat si fort, que le ciel s’ouvre sur des abysses sans
fond, bien sûr, ça touche le fond. Il y a cette angoisse existentielle
tapie dans l’ombre de la psyché humaine. C’est son heure, elle vient
accomplir, accoucher un monde nouveau. Le travail ne fait que commencer.
Elle
ne le sait pas encore, elle pense qu’elle est seule, face à sa petite
vie qui se trouve d’un coup bousculée, à sa peur d’être dévorée par
l’inconnu qui s’ouvre derrière cette muraille de montagne…
Et
la voilà, d’un coup qui se demande ce qu’elle fait là, une envie si
forte de rentrer à la maison. Cette fois toucher l’immensité, et se
sentir, perdue, perdue.
Mais
la force est là, dans cette patience sans faille, alors ne prendre
aucune décision, juste mettre en action ce qui se doit, tout d’abord se
rendre au bureau d’accueil, puis au gîte.
Jeannine ouvre la porte.
Il
y a des gens qui font écho à votre part de faiblesse, d’autres à celle
qui est invincible. Jeannine est de ces guerriers de la lumière, elle
aide sans qu’il soit nécessaire de dire. Cela est bien ce qui
caractérise ces êtres, ils passent inaperçus, ils agissent d’un arrière
plan vacant, en résonance.
S’est
t-elle baissée pour ramasser les morceaux épars et me les tendre ? Elle
a fait cela, dans le silence, elle si enjouée et bavarde. Elle a séché
les larmes que je cachais, elle a bercé le corps fatigué, elle a montré,
là, où il y a le courage.
Et dans ce silence, tout mon être en gratitude, vers elle, ma sœur. Mutuelle reconnaissance qui fait s’ouvrir encore.
Peu
après est arrivé le cycliste, celui rencontré le jour de Sauveterre.
Parti le matin pour Roncevaux, il a rebroussé chemin à cause de la
pluie. Sa joie est grande de me voir, comme s’il retrouvait une vieille
copine. Et du coup me voici joyeuse à mon tour.
Puis,
un couple de bretons, des cyclistes aussi. Ensuite c’est Noël qui a
débarqué avec son vélo et sa bonne humeur, la chambrée est au complet.
Un
peu plus tard Noël raconte que pour rassurer sa femme, il avait accepté
de partir avec un coéquipier. L’autre voulait foncer, lui profiter.
Alors, il s’est fâché très fort, et il a dit : « Taille ta route et
oublie, moi ! ». Il s’est fait traité d’asocial et d’égoïste, mais le
voilà parfaitement heureux. Et nous partageons son bonheur dans les
rires. Lui aussi prend des photos, il dit : pour garder le souvenir des
visages.
Au
bureau d'accueil qui donne des renseignements pratiques sur le chemin
en Espagne, on me déconseille de franchir le col en solitaire, je prends
contact avec un groupe de filles rencontré sur place. Nous avons
rendez-vous demain à 6h45.
J’ai
récupéré le courrier que maman devait m’envoyer.
Il y a quelques temps
déjà que m’est venue cette inquiétude sourde à l’approche de l’Espagne.
Je ne connais pas ce pays, ni la langue. Et puis l’appréhension de cette
promiscuité dans les gîtes, suis une solitaire qui a besoin d’un
certain espace vital. Mère lisait le livre d’un pèlerin ayant fait le
camino avec son âne, elle m'a proposé de recopier les principaux
renseignements.
Elle
a fait un sacré boulot, tout y est, jour après jour, étape après étape,
toutes sortes de recommandations. Voilà que je me sens moins perdue,
les infos, mais aussi l’écriture familière sur moi. J’ai téléphoné pour
remercier et souhaiter un bon anniversaire au petit père qui est du 06
Juin. Ils étaient excités comme deux puces. Il y a quelques jours, ils
ont fait la connaissance d’un autre pèlerin ayant fait le chemin l’année
dernière, ils l’ont hébergé alors que celui-ci rejoignait Chartres à
pieds. Le pèlerin a promis de me faire parvenir des conseils, son
courrier devrait arriver sous peu.
Je n’attendrai pas cette lettre, demain je pars.
Jeannine
me dit qu’à cause du temps, il vaudrait mieux passer par la vallée, là
haut ça risque d’être impraticable et perdu dans le brouillard.
Je ne veux plus me poser de question, on verra demain, j’en discuterai avec les filles que je dois rejoindre.
Avec
l’ami de Tours, nous avons partagé nos victuailles dans la petite
cuisine, les autres sont partis au restaurant. Puis chacun dans son lit.
C’est la première nuit, à écouter le souffle de compagnons d’un soir, à les sentir si près, je dors très mal.

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