Les
Côtes du Nivernais, pays d’élevage, les vaches accompagnent la
lente marche du regard, elles cessent de brouter pour mieux profiter
du spectacle. Dans ce pré, elles sont quinze à se mettre en ligne,
le taureau est resté en retrait. La pérégrina s’arrête, les
vaches attendent patiemment qu'elle reprenne la route. On dit que les
vaches regardent les trains passer, elles se souviennent du temps de
la transhumance, images de vastes prairies, d’herbes sauvages...
pourtant rien ne va dans cette direction, le progrès avec ces
hangars, ces entraves.
Autre
signe du progrès les fontaines vives ne sont plus que des bouches
asséchées. C'est à l'habitant qu'elle demande l'eau indispensable.
Tous sont contents de lui rendre ce service. La petite dame, qu'elle
quitte, a rempli la gourde d’eau minérale :
« Comme pour
nous ! »
Afin
de soulager ses pieds elle ôte
régulièrement chaussures et chaussettes, après quelques minutes
la température baisse, il est temps de repartir.
Elle
a hâte d’arriver à Nevers où elle a décidé de dormir à
l’hôtel. L’idée d’un bon lit, d’une douche, elle avance
d’un bon pas. « Il me faudra aussi laver mon linge, j’irai
dans un lavomatique, et puis je passerai dans une pharmacie tenter de
soulager mes extrémités avec quelque produit miracle. Demain, avant
de quitter la ville, j’irai rendre visite à Bernadette. Oui c'est
une drôle d'idée je sais, encore plus bizarre... comme une promesse.
Celle-là je ne me souviens pas à qui je l'ai faite ! »
L’hôtel
pas cher est aux confins de la ville, mais sans le sac elle se sent
capable d’aller au bout du monde.
Pas
de lavomatique dans cette ville, est ce possible ? C’est ce qu’on
lui dit à la pharmacie. En fait il y en aurait un, en direction de
Carrefour, près de la caserne des militaires, il faut franchir le
pont de chemin de fer mais c’est LOIN, pour quelqu’un qui va à
pieds. Pas aimables, le monsieur et la dame, elle se sent malmenée
par leur indifférence hautaine.
La
nuit commence à tomber, elle a tourné, tourné sans trouver le
pont. La fatigue est grande et le bel enthousiasme s’est envolé.
Comme un automate, elle avance, elle ne sait plus rien décider. Une
longue rue qui semble ne jamais devoir finir, elle avance, il n’y a
plus rien d’autre à faire.
Elle
reconnaît l'endroit, pourtant elle n’y est jamais venue. Malgré
l’heure tardive c’est encore ouvert. Bernadette repose en ce
lieu, si petite, tellement belle. En sortant de la chapelle, après
la sévère façade du couvent, elle traverse les jardins, l'endroit
où le corps a connu la terre sans y succomber, tout en bas la
source. De l’autre coté du mur, la ville et son agitation…
incroyable tout est là, identique à ce que la pharmacienne a
expliqué : le pont de chemin de fer, la caserne…
Elle
a eu le temps de laver et de sécher ses quelques nippes. Au café où
elle attend que le linge soit prêt, la fleuriste est venue bavarder
avec la serveuse : « Quand on a mal aux pieds, on a mal partout ».
La pérégrina lève les yeux sur celle qui se plaint, fatigue et
souffrance se mêlent dans le creux des rides, un sourire, ces
deux-là se rencontrent, intensité du partage silencieux.
Son
linge propre sous le bras, elle demande le chemin à une femme devant
le portail d’une grande maison. Effrayée par la distance pour
rejoindre l’hôtel, cette femme va chercher son mari, la voiture et
ils la raccompagnent. La nuit est définitivement tombée sur la
ville.
Suspension
du temps, ces inconnus si proches… tout l’univers, là, en cet
instant.