Elle
est là, assise sur le trottoir, son chapeau en paille chouchou sur
la tête, un pansement barrant son font.
Près
d’elle un jeune homme qui s’empresse de la quitter me soufflant :
« Ça va mal… »
Il
fait presque nuit, ce n’est pas prudent de rester ici, une voiture
pourrait…
Elle
s’en fout, elle ne veut pas rentrer chez elle, elle s’écoule en
mots plaintifs, la souffrance n’a pas de pudeur. Elle raconte ce
que l’on connaît trop bien.
Avancer
coûte que coûte, engranger du grain pour l’hiver, se battre comme
il faut le faire, et puis profiter, profiter de ce qui est Notre vie,
que ça fait chacun la sienne. Et le temps a passé, les enfants ont
grandi et s’en sont allés, tout ce qui donnait sens, ne reste que
le vieux compagnon qu’on ne supporte plus, alors lui reprocher ses
insuffisances, tous ses manquements, jusqu’au premier, qu’on a
rien oublié.
Elle
est celle qui voit ce qui ne va plus, les divorces, les maladies, les
accidents. Elle regrette ce temps où, la famille ça voulait dire
quelque chose tous ces dimanches qui rassemblaient en grands cercles
élargis où, trois voir quatre générations vivaient dans le même
îlot.
Et
puis là, le frère qu’est mort, brutalement comme ça, ouvrant
encore plus grand la béance en elle.
Écouter…
écoulement de tous ces mots, évoquer son dieu qui fait la pluie et
le beau temps, et même quand ça arrange le malheur de quelques
méchants. Mais en cet instant, il n’a aucun pouvoir, c’est
évident.
Là
voilà qui se redresse, et décide de rentrer, elle ne veut pas que
je l’accompagne, sa peine lui suffit.
Dans
la nuit, elle s’enfonce, l’obscurité la grignote peu à peu.