mardi 18 août 2015

Présence et résonance (38)

Chacun son rythme, ils se retrouvent le soir à Puente La Reina. A l’entrée du village le refuge, dans ce dortoir des lits à trois étages les uns contre les autres, juste de quoi se glisser ! En attendant le moment qui va les tenir enfermés dans la moiteur des odeurs, ils sont partis faire quelques achats pour le pique-nique du lendemain.
Une longue rue, des maisons anciennes ornées de blasons sculptés dans la pierre, ils se dirigent vers le pont. Rotraud et Markus avancent d’un bon pas, bavards, bavards ces deux là, la pérégrina derrière. Les pieds bien sûr mais aussi elle aime les suivre ainsi. En fait quelque soit les circonstances elle est celle qui ferme la marche.
Elle mastique des graines de tournesols qu'elle vient d’acheter, Markus se retourne, lui adresse quelques mots en anglais qu'elle ne comprend pas. « Il dit que tu ressembles au petit poucet, comme lui tu marques ton chemin ». Ah ça non, elle ne jette pas au sol, elle lui montre les épluchures dans le creux de la main. Il rit, tout joyeux.
Ils ont atteint le pont, renommé, celui qu'ils franchiront demain. Rotraud s’extasie, elle aime les "ponts antiques", comme elle dit. Déjà hier à Pamplume elle les cherchait, on dirait qu’elle a fait tout ce voyage pour cette rencontre. Elle photographie l’envolée de pierres sous toutes ses coutures.

Plus tard ils vont au restaurant. Sur le camino les menus peregrino sont à des prix modiques et le service se fait à une heure précoce pour les habitudes espagnoles. Dans ce pays on ne dîne pas avant 22 heures.
La conversation va bon train, la pérégrina se dit qu'elle a bien de la chance de ne pas être polyglotte, pouvoir garder le silence sans froisser quiconque, sans se sentir obligé, tout simple. Elle se laisse bercer par le son des mots, musique...
Quelques informations à la télé suspendue au mur de la salle, le visage juvénile de Markus s’assombrit, il semble en colère. La pérégrina sourit de le voir en tellement de sérieux, elle ne veut pas savoir ce qui se passe, c'est toujours la même histoire, celle des guerres, toutes les guerres. Markus la regarde maintenant avec insistance, elle détourne les yeux, ce qui était léger s’alourdit.

Sur le lit qui jouxte le sien, git Monica, la belle brésilienne. Pas de chance ! Depuis hier Monica a mal aux chevilles et elle hurle sa douleur. Dans le gymnase hier c’était insupportable, alors dans ce réduit ! Rotraud a dit : « Cette fille, c’est incroyable, quand j’ai fait le chemin l’année dernière, il y en avait une, exactement comme elle, bruyante, névrosée, draguant tous les garçons, pleurant sur son sort… je ne supporte pas ce genre de fille ! »
Pour l’heure Monica tremble sur son lit gémissant comme un grand blessé à sa dernière heure. La pérégrina lui propose son duvet. Non, elle n'en veut pas ! La plainte s’amplifie, alors avec fermeté la pérégrina la couvre. L’effet est radical, affrontement des regards, la plainte a pris fin.

Dans le hall un homme vient d'arriver, il fait nuit déjà. Ils se sont croisés, il lui a posé une question, elle a répondu, au-delà les corps se parlent. Étrange et fascinante danse des énergies. Ils étaient tous couchés comme sardines en boîte qu’il est entré, un félin dans la forêt profonde. Il s’est approché sans bruit du bloc où la pérégrina loge au premier, et d’un bond léger il a escaladé les trois étages. Enfin c’est ce qu'elle suppose, un instant il était là tout près, l'instant d'après la trace de son passage.
Dans la pénombre s’alourdissent chaleur, odeurs, chuchotements, jusqu’à remplir chaque centimètre cube. C’est une forme qui rampe, s’enfle, enserre tous les corps pour n’en faire plus qu’un, brusquement de cet océan sans nom s’élève un bruit terrible. Monica pousse son cri, des grognements tonitruants et absolument indescriptibles roulent dans tous les sens. Plus un souffle, c’est dans le silence de tous que la bête agonise.


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