Chacun
son rythme, ils se retrouvent le soir à Puente La Reina. A l’entrée
du village le refuge, dans ce dortoir des lits à trois étages les
uns contre les autres, juste de quoi se glisser ! En attendant
le moment qui va les tenir enfermés dans la moiteur des odeurs, ils
sont partis faire quelques achats pour le pique-nique du lendemain.
Une
longue rue, des maisons anciennes ornées de blasons sculptés dans
la pierre, ils se dirigent vers le pont. Rotraud et Markus avancent
d’un bon pas, bavards, bavards ces deux là, la pérégrina
derrière. Les pieds bien sûr mais aussi elle aime les suivre ainsi.
En fait quelque soit les circonstances elle est celle qui ferme la
marche.
Elle
mastique des graines de tournesols qu'elle vient d’acheter, Markus
se retourne, lui adresse quelques mots en anglais qu'elle ne comprend
pas. « Il dit que tu ressembles au petit poucet, comme lui tu
marques ton chemin ». Ah ça non, elle ne jette pas au sol, elle lui
montre les épluchures dans le creux de la main. Il rit, tout joyeux.
Ils
ont atteint le pont, renommé, celui qu'ils franchiront demain.
Rotraud s’extasie, elle aime les "ponts antiques", comme
elle dit. Déjà hier à Pamplume elle les cherchait, on dirait
qu’elle a fait tout ce voyage pour cette rencontre. Elle
photographie l’envolée de pierres sous toutes ses coutures.
Plus
tard ils vont au restaurant. Sur le camino les menus peregrino sont à
des prix modiques et le service se fait à une heure précoce pour
les habitudes espagnoles. Dans ce pays on ne dîne pas avant 22
heures.
La
conversation va bon train, la pérégrina se dit qu'elle a bien de la
chance de ne pas être polyglotte, pouvoir garder le silence sans
froisser quiconque, sans se sentir obligé, tout simple. Elle se
laisse bercer par le son des mots, musique...
Quelques
informations à la télé suspendue au mur de la salle, le visage
juvénile de Markus s’assombrit, il semble en colère. La pérégrina
sourit de le voir en tellement de sérieux, elle ne veut pas savoir
ce qui se passe, c'est toujours la même histoire, celle des guerres,
toutes les guerres. Markus la regarde maintenant avec insistance,
elle détourne les yeux, ce qui était léger s’alourdit.
Sur
le lit qui jouxte le sien, git Monica, la belle brésilienne. Pas de
chance ! Depuis hier Monica a mal aux chevilles et elle hurle sa
douleur. Dans le gymnase hier c’était insupportable, alors dans ce
réduit ! Rotraud a dit : « Cette fille, c’est incroyable, quand
j’ai fait le chemin l’année dernière, il y en avait une,
exactement comme elle, bruyante, névrosée, draguant tous les
garçons, pleurant sur son sort… je ne supporte pas ce genre de
fille ! »
Pour
l’heure Monica tremble sur son lit gémissant comme un grand blessé
à sa dernière heure. La pérégrina lui propose son duvet. Non,
elle n'en veut pas ! La plainte s’amplifie, alors avec
fermeté la pérégrina la couvre. L’effet est radical,
affrontement des regards, la plainte a pris fin.
Dans
le hall un homme vient d'arriver, il fait nuit déjà. Ils se sont
croisés, il lui a posé une question, elle a répondu, au-delà les
corps se parlent. Étrange et fascinante danse des énergies. Ils
étaient tous couchés comme sardines en boîte qu’il est entré,
un félin dans la forêt profonde. Il s’est approché sans bruit du
bloc où la pérégrina loge au premier, et d’un bond léger il a
escaladé les trois étages. Enfin c’est ce qu'elle suppose, un
instant il était là tout près, l'instant d'après la trace de son
passage.
Dans
la pénombre s’alourdissent chaleur, odeurs, chuchotements, jusqu’à
remplir chaque centimètre cube. C’est une forme qui rampe,
s’enfle, enserre tous les corps pour n’en faire plus qu’un,
brusquement de cet océan sans nom s’élève un bruit terrible.
Monica pousse son cri, des grognements tonitruants et absolument
indescriptibles roulent dans tous les sens. Plus un souffle, c’est
dans le silence de tous que la bête agonise.
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