jeudi 11 avril 2019

« Et la méditation, dis ? » … Krishnamurti et Chögyam Trungpa


K : La méditation est-elle un moyen d’échapper à ses propres problèmes, et d’éluder les faits réels, auquel cas ce n’est pas du tout de la méditation ? Ou bien la méditation consiste-t-elle à comprendre le problème de l’existence ? Plutôt que de l’éluder, mieux vaut comprendre la vie quotidienne avec tous ses problèmes. SI cela n’est pas compris, clairement réglé, j’aurai beau aller m’asseoir dans un coin pour suivre les directives d’un gourou qui m’enseigne la méditation transcendantale, ou une autre forme absurde de méditation, tout cela n’aura aucun sens.

Qu’est-ce donc que méditer, qu’est-ce que cela signifie ?
J’espère que je ne vous aurai pas rendu la réponse trop difficile, en réfutant ainsi toutes ces formes de méditation, en refusant les pratiques répétitives de formules, comme cela se fait en Inde, au Tibet et dans le monde entier, cette répétition sans fin d’Ave Maria ou d’autres paroles, ressassées sans fin, et dénuée de sens. Cela finit par abêtir l’esprit de façon grotesque.
Pourquoi devrions-nous méditer ?

CT : Ne pensez-vous pas que la méditation est l’un des événements faisant partie de la vie d’un homme ?

K : Monsieur, chaque être humain est en butte à des problèmes innombrables. Il doit d’abord les résoudre, ne croyez-vous pas ? Il doit mettre de l’ordre en sa propre demeure, cette demeure étant le "moi"  - mes pensées, mes sentiments, mes angoisses, ma culpabilité, ma souffrance : je dois mettre de l’ordre dans tout cela. Car sans cet ordre, comment puis-je aller plus loin ?

CT : Le problème, c’est qu’on essaie à la fois de résoudre le problème, et de chercher aussi l’ordre – n’est-ce-pas la promesse d’un chaos encore accru ?

K : Dans ce cas je cesse de rechercher l’ordre. J’explore ce qu’est le désordre, et je cherche à savoir d’où vient de désordre ; je renonce à trouver l’ordre, car alors les gourous et toute la clique entrent en scène ! Ce dont j’ai envie, ce n’est pas de l’ordre, mais de découvrir pourquoi la vie est si pleine de désordre, et de chaos. C’est à chacun de le découvrir.

CT : Mais cette découverte n’est pas d’ordre intellectuel.

K : L’intellect fait partie de notre structure globale, on ne peut pas disqualifier l’intellect.

CT : Mais on ne peut pas se servir de l’intellect pour résoudre des problèmes intellectuels.

K : Non, ces problèmes ne peuvent être résolus à aucun niveau, si ce n’est en totalité.

CT : Oui, c’est tout à fait exact.

K : En d’autres termes, monsieur, pour résoudre le problème du désordre, la méditation – au sens ordinaire du terme – est-elle indispensable ?

CT : Pas la méditation au sens ordinaire, au sens conventionnel ; ce qu’il faut, c’est une méditation hors de l’ordinaire.

K : Si je puis me permettre … qu’entendez-vous par là ?

CT : La méditation hors de l’ordinaire consiste à voir le désordre comme faisant partie d’une certaine forme d’ordre.

K : Voir le désordre.

CT : Voir le désordre en tant qu’ordre, si vous voulez.

K : Ah non. Voir le désordre, c’est tout.

CT : Mais si l’on voit le désordre, il devient un ordre.

K : Il faut que je le vois.

CT : Je dois le voir clairement.

: Tout dépend, donc, de la façon dont on observe le désordre.

CT : Il ne faut pas vouloir le résoudre.

K : Oui, c’est cela la méditation. Donc, c’est en observant le désordre –et la méditation consiste essentiellement en cela -, c’est dans l’observation du désordre qu’est l’ordre, mais pas un ordre issu de l’intellect. La méditation n’est donc pas la quête d’une expérience personnelle. Ce n’est pas un accomplissement personnel, le but étant de siéger un jour auprès de dieu. Cela fait penser à ces gens qui parcourent les rues en dansant, en chantant, en répétant « Hare Krishna ! »  - l’ordre ce n’est pas cela. Au contraire, ces gens-là suscitent un désordre colossal ! Je n’aurai jamais de mots assez durs, c’est vraiment une terrible calamité de voir les gens se livrer à de telles pratiques. La méditation est-elle une pratique quotidienne, ce qui suppose de se plier à un schéma établi, s’astreindre à limitation, au refoulement ?
Vous savez très bien tout ce que sous-entend le conformisme. Cette soumission à un modèle, quel qu’il soit, peut-elle jamais mener quiconque à la vérité ? Evidemment non.
Donc, si l’on voit réellement – pas simplement théoriquement, mais de manière effective- la fausseté de cette mise en pratique d’un système, fut-il noble ou absurde ; si l’on comprend que cela n’a pas de sens, alors que reste-t-il de la méditation ?

Krishnamurti en questions 
Livre de poche






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