Les
jours passaient ainsi, le lever, le coucher, et entre les deux une
morne chose où je m’ennuyais. Pour passer le temps, comme on
m’avait supprimé les chaussures, je tirais le linge étendu sur le
fil. Non que j’imaginais qu’il était là pour moi, mais de les
entendre hurler à leur retour me comblait, en un certain sens. On
s’occupait de moi, j’existais.
Je
n’ai jamais pensé aux conséquences, nous autres n’entendons
rien à ces choses là. Je savais la trempe que je prendrais mais je
ne la craignais pas. Cris et coups de savates n’étaient rien
d’autre que l’accomplissement.
Alors,
j’ai continué comme ça, du lever, au coucher, à tirer le linge,
les chaussures qu’on oubliait.
Un
jour j’ai réussi à choper des chaussures, je les ai bien
arrangées. Elles n’avaient pas vraiment d’odeur, celles là,
mais c’était aussi bien. Quand on est rentré et qu’on a vu mon
travail, il y a eu un silence ...
Ce
silence avait quelque chose d’intense, je ne connaissais pas.
Là,
j’ai vraiment eu peur.
On
m’a enfermé dans la cage, au fond du jardin. J’y suis resté
sans manger, sans boire. Au petit matin, on n’est venu me sortir de
là. Dans le coffre de la voiture je n’en menais pas large, le
silence était toujours là. Le coffre s’est ouvert, on m’a jeté
dehors. La voiture est repartie dans une accélération nerveuse, les
pneus ont crissé, puis plus rien.
Longtemps,
je suis resté terré, au fond du trou où l’on m’avait jeté. La
peur me tenait là, tétanisé, aveugle, sourd. Plus rien ne
parvenait jusqu’à moi, et dans le même temps tous mes sens
étaient en alerte. Chose étrange que cet état là, de ce
frémissement intense sans que rien ne se dise.
Cette
étrangeté s’en est allée. D’un coup, les odeurs m’ont
assailli. Il y avait la senteur de l’herbe que je connaissais, mais
aussi toute une déclinaison de l’émanation des chaussures. J’ai
flairé à droite, à gauche, il y avait là de vieux tissus, des
objets sans nom pour moi, et peut-être bien pour personne vu l’état
dans lequel ils étaient. Il y avait le parfum d’un cadavre de
cabri bien avancé… Il y avait trop d’effluves pour que je puisse
toutes les reconnaître.
L’ouïe
m’est revenue peu après, petit à petit. Tout près c’était le
silence, pas ce silence de mort qui m’avait accompagné depuis la
veille au soir, non, un silence tranquille, presque paisible. Puis
sont arrivés jusqu’à moi les bruits plus éloignés, un rat dans
le talus, de l’eau s’écoulant sur des roches, plus loin encore
des voitures roulant à vive allure, cela venait d’en haut.
J’ai
levé la tête, au dessus il y avait une route, qui est devenue de
plus en plus bruyante, je retrouvais mes sensations elles
m’envahissaient dans un vacarme assourdissant.
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