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mercredi 20 août 2014

Les méfaits de la culture intensive, rendre stériles les terres arables

Deuxième extrait du livre "Le biomimétisme"  de Janine M.Benyus


"… Des champs de blés se dressent de tous côtés, à perte de vue, rangées rectilignes faisant alterner le vert et le marron. Du ciel, ils doivent donner l’impression d’avoir été taillés par une machine de mort, tant leurs bords forment des angles impossibles à retrouver dans le vivant. Entre les tiges, le sol est clairement visible, la moindre mauvaise herbe ayant été pulvérisée de produits chimiques. Rein d’autre que le blé n’est autorisé à pousser ici ; toute forme de diversité a été arrachée.

. Aujourd’hui, nos cultures sont si dépourvues de la capacité d’adaptation de leurs ancêtres sauvages qu’elles ne peuvent se passer de nous et de nos transfusions pétrochimiques d’engrais et de pesticides. Dans notre quête d’une production toujours plus importante, nous leurs avons ôté leurs défenses naturelles. Nous les avons isolées de leur groupe plurispécifique, nous avons restreint leur diversité génétique et privé leur sol de sa santé.

Parmi ces méfaits, avoir ainsi appauvri les sols constitue, notre plus grossière erreur. La couche arable est, pour l’essentiel, non renouvelable. Une fois érodée ou empoisonnée, elle peut mettre des milliers d’années à se régénérer. Plutôt que d’opter pour une communauté végétale pérenne et autosuffisante qui conserverait à l’abri toutes les richesses du sol, nous avons choisi la culture des annuelles, qui nous oblige à le remuer chaque année.
Chaque fois que nous labourons le sol, nous l’amoindrissons, le privant d’une capacité à faire pousser des cultures. Nous faisons voler en éclats son architecture complexe et perturbons sérieusement l’équipe de rêve formée par la microfaune et la microflore….
 
Les champignons qui enroulaient autrefois leurs filaments autour des radicelles pour étendre leur portée, les organismes utiles du sol qui coexistaient en bonne intelligence, les bactéries qui transformaient l’azote aérien en nourriture ne sont plus présents qu’en nombre très réduit, et ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les liens qui les unissaient ayant été rompus, il y a moins d’efforts individuels, moins de cette force issue de différentes espèces travaillant, dans une entente biologique, au profit de la communauté toute entière.
Les prairies fertiles et sauvages qui parsèment encore, en petit nombre, les grandes plaines, donnent une idée imparfaite de ce que nous possédions. Dans son livre Grassland, Richard Manning qualifie ces vestiges de "socles taillés par la charrue". Du haut de certains de ces socles, autrefois à la même hauteur que la terre, presque un mètre vous sépare désormais du sol labouré. Telle est l’ampleur de notre perte.
A d’autres endroits, la couche supérieure de la terre est si fine que nos charrues la mélangent avec le sous-sol, qui n’a pas la même histoire organique que la couche arable. Le vol qualifié qu’est la moisson retire de ces champs davantage encore de matières organiques. Même aux endroits où le chaume est retourné avant la plantation, les substances nutritives sont souvent perdues, de fortes averses les rejetant au loin avant qu’aucune plante ne soit visible.

Un sioux qui observait un laboureur retourner les racines d’une prairie aurait secoué la tête et dit : « Elles sont maintenant dans le mauvais sens ». Prenant les sages pour des arriérés, les colons se racontaient cette anecdote en riant, ignorant les mises en garde émises à chaque racine retournée.

Annonçant la réponse à la faim dans le monde, les phytogénéticiens ont dévoilé de nouvelles souches de cultures hybrides, promettant des rendements prodigieux. Cependant (en raison, justement, de leur nature hybride) ces nouvelles plantes ne transmettent par leurs caractères génétiques d’une génération sur l’autre. C’est ainsi que les agriculteurs du monde entier ont renoncé à la tradition consacrée consistant à mettre des semences de côté, et ont ajouté une nouvelle dépense à leur registre d’achat : celle des semences hybrides."
 

mercredi 6 août 2014

Janine M.Benyus La prairie et des écosystèmes en danger

La prairie un écosystème parmi tant d’autres…
Extraits de Biomimétisme Janine M. Benyus.
 
Ainsi, la question des engrais occulte celle de l’érosion des sols causée par l’agriculture de labour de plantes annuelles. Les pesticides masquent en outre un deuxième problème : celui de la fragilité intrinsèque de monocultures génétiquement identiques. L’argent emprunté pour payer les intrants de type combustibles fossiles (dérivé du pétrole) en dissimule un troisième : le fait que l’agriculture industrielle ne détruit pas seulement les sols et l’eau, mais étrangle également les communautés rurales.
Même si nous ne voulons pas l’admettre, nos exploitations sont devenues des usines détenues par des grands propriétaires qui, avec notre complicité dilapident le capital écologique que la prairie a mis cinq mille ans à constituer. Chaque jour, notre sol, nos cultures et nos populations deviennent un peu plus vulnérables.
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Dans une série d’ouvrages tels que New Roots for Agriculture, Meeting the Expectations of the Land of Altars of Unhewn Stone, Wes Jackson explique que le problème de l’agriculture est un problème ancien et général, né de notre insistance à nous dégager de la nature, du remplacement des systèmes naturels par des systèmes totalement étrangers et de la guerre que nous faisons aux processus naturels, au lieu d’en faire nos alliés. Il en a résulté une perte régulière de capital écologique, due à l’érosion et à la salinisation des sols ainsi qu’à la domestication et à l’affaiblissement  progressifs de nos cultures. Pour retrouver notre chemin, nous devons, selon Jackson, nous souvenir de ce à quoi ressemblaient les ancêtres de "nos" cultures dans leur propre élément.
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« En substance, nous devons cultiver la terre comme la nature le fait » Trublion des temps modernes, Wes Jackson, un agriculteur du Kansas de la quatrième génération, né en 1936, est arrivé à cette conclusion toute simple il y a des années, avant d’avoir les mots pour le dire. C’était son seizième anniversaire, il prenait au lasso et montait le bétail du ranch de son cousin dans le Dakota du sud, loin de l’exploitation familiale située dans le Kansas. Il fut stupéfait de constater que, bien que personne ne cultivât ni ne s’occupât de cette terre, l’herbe y poussait année après année, sécheresse ou pas, sous la neige ou sous un soleil de plomb. Des serpents à sonnettes s’y lovaient où bon leur semblait, et des chevêches des terriers montaient la garde devant leur terrier. « Il y avait une justesse dans tout cela », dit-il aujourd’hui.
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Sur le bord de la route, un panneau indique The Wauhob : une prairie qui a miraculeusement échappé au labour, probablement parce qu’elle était en pente, et qu’il était difficile d’y faire venir des charrues. Je ralentis, puis arrête complètement de rouler, bouche bée devant ce spectacle d’autant plus remarquable qu’il fait suite à des hectares d’une régularité implacable. D’où je suis, j’aperçois à la fois les champs de blé et la prairie, et j’ai l’impression d’être devant une parabole visuelle, celle de Jacob et d’Esaü, issus du même moule mais de caractères très différent. D’un côté, une volonté imposée, de l’autre, la volonté de la terre.
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Piper parle des plantes comme il parlerait de ses voisines au sein d’une communauté, tandis qu’il me présente les espèces fixatrices d’azote, celles dont les racines s’enfoncent dans le sol pour y puiser l’eau, celles qui, au printemps, se dépêchent de pousser pour faire de l’ombre aux mauvaises herbes, celles qui résistent aux ravageurs, ou abritent ces héros que sont les insectes utiles. Il me signale également les papillons et les abeilles, pollinisateurs aux langues agiles qui répandent des rumeurs d’une plante à une autre.
Sous cette foule incontrôlée se cache 70%du poids vif de la prairie, un épais tissu de racines, de radicelles et de stolons qui captent l’eau et pompent les nutriments des profondeurs.
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Le secret de la prairie réside dans sa capacité à maintenir les deux assemblages –en surface, et sous la surface de la terre- dans un état de stabilité dynamique.