Les
eaux noires ont peuplé la nuit, plus loin que le souvenir de
l'accident, plus profond que la leçon de morale. Elle se souvient
d'avoir marché enfant avec une mère entre deux mondes. Ce n'était
ni le jour, ni la nuit, la lumière avait disparu. Oui la nuit est
lumineuse tout autant que le jour, ce n'était ni l'un, ni l'autre.
L'étape
suivante est Limoges, il n'est pas possible d'atteindre la ville à
pieds, celle-ci est ceinturée de routes à grande circulation. Les
pèlerins la contournent c'est ce qu'a dit le docteur C. « Hé
bien je vais prendre le train ! ». Éclat de rire
qui traverse des couches et des couches, la voici juste heureuse
d’être ici.
Le
train, tout moderne et coulissant s’est élancé, il a dévoré la
dizaine de kilomètres sans un seul arrêt. Elle a eu quelques
difficultés avec la porte des toilettes, un système de fermeture
qu’elle ne connaît pas et qui l’a met dans l’embarras.
Le
train déverse son flot de voyageurs, elle avance sur le quai,
s’arrête soudain : « Mon bâton ! » Durant un instant, elle
ne sait plus où elle l’a laissé, peut être lui a-t-on volé ?
Un
contrôleur, témoin de son désarroi, s’approche et l’interroge.
Elle crie qu’elle a oublié son bâton sur le quai de la gare de St
Léonard. Il pourrait bien rire, ou dire qu’il ne comprend pas :
« Quel bâton? » Mais rien de tout cela, il lui dit d’aller à
l’accueil, que là, on s’occupera de son affaire.
« N’ai-je pas vu une pie ce matin, "une pie malheur" ? Une pie malheur, deux pies bonheur. Enfin, c’est ce qu’elle dit la petite Claudine. Et elle y tient à son histoire. Sans arrêt, elle dit : « Une pie malheur, deux pies bonheur » et elle se plaint si dans le champ il y a une seule pie et dés qu’il se passe quelque chose : Tu vois, je te l’avais bien dit. Ce matin, il y avait une pie ! Bien sûr je n’y crois pas à ces couillonnades. Je n’y crois pas, mais à force, à force, ça influence ! ».
La
voici arrivée à l’accueil elle se précipite au comptoir et
explique son histoire. Pas celle de la pie, non, celle du bâton
oublié sur le quai. « Il faut téléphoner au chef de gare,
qu’il aille le chercher, faire le nécessaire pour le rapatrier ».
Ils sont trois dans le bureau. Ils n’ont pas l’air de la prendre
au sérieux, rigolent un peu, lui disent que pour un bâton, on ne va
pas… « Je ne partirai pas de Limoges sans mon bâton ! ». Devant
tant de détermination, ils s’inclinent. On appelle St Léonard de
Noblat, il a déjà été retrouvé, il sera de retour en fin d’après
midi, juste avant le train qu’elle doit prendre pour quitter
Limoges.
Elle visite la ville, son sac sur le dos. Il n’y a plus de consigne à la gare, à cause des attentats. « Quels attentats ? » On la rassure ce sont les attentats de… « Ah bon, c’est encore d’actualité ! ». Elle fulmine, un peu, contre les administrations qui en profitent toujours pour se débarrasser à bon compte des services rendus à la population. Mais avec cette histoire du bâton … pour finir, elle se dit que ce n’est que justice : « Fallait pas le prendre ce train, et encore, ce n’est pas cher payé si je retrouve mon compagnon ! ».
La
cathédrale, l’église St Michel, la ville est belle. Les rues
comme les rangées de strapontins dans les cirques, si bien que la
vue s’échappe au-delà des constructions, laissant l’espace
relier ici et là bas. Circulation, harmonie, on n'entre pas en
conflit avec ce qui est beau.
Sur
l’avenue qui ramène à la gare, un sentiment nerveux grandit et
si... Elle entre dans la gare, l’inquiétude cède d'un coup, il
est là, elle en est certaine. Ils se précipitent dès son entrée,
ils sont deux à vouloir lui rendre le bâton, courbettes en avant,
ils se moquent un peu, beaucoup... elle s'en fout ! Elle rit, il
est là ! La peur du regard de l’autre, ce mur vient de
tomber, rien ne peut ternir sa joie enfantine. Elle fend la foule,
rit encore.
Le
train s’arrête à Aix sur Vienne. Autre camping, fermé lui aussi,
elle se glisse sous la barre et s'installe. Un camping car, des
hollandais, s’installent de l’autre côté, impossible d’entrer
avec le véhicule. Ici, les sanitaires ne sont pas ouverts, alors ces
voisins, de l’autre côté de la barrière, lui donnent un jerrycan
d’eau. Tous ensemble ils rient de la farce.
Dix
arbres majestueux font cercle, au centre elle plante la tente près
d’une table et d’un banc. Sûr que si le camping avait été
ouvert, on ne l’aurait pas laissée bivouaquer ici. Elle rit, un
léger frémissement dans les grands arbres « Ah vous aussi
vous riez de la farce ! »
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