jeudi 13 août 2015

Présence et résonance (26)

Les eaux noires ont peuplé la nuit, plus loin que le souvenir de l'accident, plus profond que la leçon de morale. Elle se souvient d'avoir marché enfant avec une mère entre deux mondes. Ce n'était ni le jour, ni la nuit, la lumière avait disparu. Oui la nuit est lumineuse tout autant que le jour, ce n'était ni l'un, ni l'autre.
L'étape suivante est Limoges, il n'est pas possible d'atteindre la ville à pieds, celle-ci est ceinturée de routes à grande circulation. Les pèlerins la contournent c'est ce qu'a dit le docteur C. « Hé bien je vais prendre le train ! ». Éclat de rire qui traverse des couches et des couches, la voici juste heureuse d’être ici.

Le train, tout moderne et coulissant s’est élancé, il a dévoré la dizaine de kilomètres sans un seul arrêt. Elle a eu quelques difficultés avec la porte des toilettes, un système de fermeture qu’elle ne connaît pas et qui l’a met dans l’embarras. 
Le train déverse son flot de voyageurs, elle avance sur le quai, s’arrête soudain : « Mon bâton ! » Durant un instant, elle ne sait plus où elle l’a laissé, peut être lui a-t-on volé ?
Un contrôleur, témoin de son désarroi, s’approche et l’interroge. Elle crie qu’elle a oublié son bâton sur le quai de la gare de St Léonard. Il pourrait bien rire, ou dire qu’il ne comprend pas : « Quel bâton? » Mais rien de tout cela, il lui dit d’aller à l’accueil, que là, on s’occupera de son affaire.

« N’ai-je pas vu une pie ce matin, "une pie malheur" ? Une pie malheur, deux pies bonheur. Enfin, c’est ce qu’elle dit la petite Claudine. Et elle y tient à son histoire. Sans arrêt, elle dit : « Une pie malheur, deux pies bonheur » et elle se plaint si dans le champ il y a une seule pie et dés qu’il se passe quelque chose : Tu vois, je te l’avais bien dit. Ce matin, il y avait une pie ! Bien sûr je n’y crois pas à ces couillonnades. Je n’y crois pas, mais à force, à force, ça influence ! ».
La voici arrivée à l’accueil elle se précipite au comptoir et explique son histoire. Pas celle de la pie, non, celle du bâton oublié sur le quai. « Il faut téléphoner au chef de gare, qu’il aille le chercher, faire le nécessaire pour le rapatrier ». Ils sont trois dans le bureau. Ils n’ont pas l’air de la prendre au sérieux, rigolent un peu, lui disent que pour un bâton, on ne va pas… « Je ne partirai pas de Limoges sans mon bâton ! ». Devant tant de détermination, ils s’inclinent. On appelle St Léonard de Noblat, il a déjà été retrouvé, il sera de retour en fin d’après midi, juste avant le train qu’elle doit prendre pour quitter Limoges.

Elle visite la ville, son sac sur le dos. Il n’y a plus de consigne à la gare, à cause des attentats. « Quels attentats ? » On la rassure ce sont les attentats de… « Ah bon, c’est encore d’actualité ! ». Elle fulmine, un peu, contre les administrations qui en profitent toujours pour se débarrasser à bon compte des services rendus à la population. Mais avec cette histoire du bâton … pour finir, elle se dit que ce n’est que justice : « Fallait pas le prendre ce train, et encore, ce n’est pas cher payé si je retrouve mon compagnon ! ».
La cathédrale, l’église St Michel, la ville est belle. Les rues comme les rangées de strapontins dans les cirques, si bien que la vue s’échappe au-delà des constructions, laissant l’espace relier ici et là bas. Circulation, harmonie, on n'entre pas en conflit avec ce qui est beau.
Sur l’avenue qui ramène à la gare, un sentiment nerveux grandit et si... Elle entre dans la gare, l’inquiétude cède d'un coup, il est là, elle en est certaine. Ils se précipitent dès son entrée, ils sont deux à vouloir lui rendre le bâton, courbettes en avant, ils se moquent un peu, beaucoup... elle s'en fout ! Elle rit, il est là ! La peur du regard de l’autre, ce mur vient de tomber, rien ne peut ternir sa joie enfantine. Elle fend la foule, rit encore.

Le train s’arrête à Aix sur Vienne. Autre camping, fermé lui aussi, elle se glisse sous la barre et s'installe. Un camping car, des hollandais, s’installent de l’autre côté, impossible d’entrer avec le véhicule. Ici, les sanitaires ne sont pas ouverts, alors ces voisins, de l’autre côté de la barrière, lui donnent un jerrycan d’eau. Tous ensemble ils rient de la farce.
Dix arbres majestueux font cercle, au centre elle plante la tente près d’une table et d’un banc. Sûr que si le camping avait été ouvert, on ne l’aurait pas laissée bivouaquer ici. Elle rit, un léger frémissement dans les grands arbres « Ah vous aussi vous riez de la farce ! »

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