C’est
au soleil qu’elle confia son épaule douloureuse, la douce chaleur
au dessus du triangle pelvien persistait, cela rayonnait. Allongée
dans la cour carrée de sa maison, le bras tendu vers le ciel, elle
le laissait descendre. Au début il restait là pointant l'azur,
puis peu à peu il retrouvait le sens de l'apesanteur. Elle ne
mesurait pas les progrès, les yeux fermés elle était ce bras, son
axe bloqué, la douleur apaisée, quelle surprise lorsqu'elle sentit
un jour le sol carrelé, le bras touchant l'oreille.
L'homme ?
Elle le voyait partout, elle le voulait, l'attendait, l'appelait de
tout son être. Cette fièvre prit fin lorsqu'elle se souvint qu'elle
lui avait donné au moment du remplissage de la fiche un faux numéro
de téléphone. Incroyable se disait-elle, incroyable d'avoir commis
cette erreur, incroyable de s'entendre énumérer les chiffres,
d'avoir zapper tout ça comme si ce n'était pas elle, cela la rendit
furieuse. Elle téléphona au kiné il fallait vérifier, en même
temps elle connaissait la réponse, le numéro inscrit sur la fiche
était un faux. Le trouble changeait d'objet, ce n'était plus cet
homme qui en était la cause mais elle-même, non qu'elle doutait de
sa sincérité mais elle se découvrait un monde qu'elle ignorait.
« Vous
pourriez faire ce que je fais » il avait dit cela, mais
qu'avait-il fait ? Et que pourrait-elle bien faire ? Elle
lut des livres traitant du magnétisme et d'autres sujets annexes
plus ou moins sulfureux, sans qu'aucune réponse ne lui fut apportée.
Elle s'inscrit à un cours de yoga. Elle se rendit déjà dans un
lieu où elle fut reçue par une jeune femme qui lui parla longuement
et qui voulait savoir pourquoi elle venait. Mais elle ne pouvait pas,
ne voulait pas en parler. Dans cet endroit une insistance, une
histoire de maître que l'on rencontrait à la demande, elle n'aima
pas. Ce qui l'a décida pour cet autre cours ce fut la simplicité de
l'accueil, pas de question, pas de bla-bla. Une femme, la
cinquantaine, les cheveux gris tirés et retenus en un chignon plat,
elle partageait la pratique du yoga dans son appartement, une grande
salle vide, dans un coin des couvertures, des coussins, et sur le mur
faisant face une draperie dissimulait quelque chose. « Je suis
bouddhiste, c'est mon autel, je le recouvre de ce drap pour que cela
ne cause pas de gêne, je ne fais pas de prosélytisme, c'est une
affaire personnelle » Claudia, née au Pérou, elle n'en
parlait jamais, venue à 20 ans en France dans ce coin de Champagne,
elle avait eu un mari, des amants peut-être, elle n'en parlait
jamais. Elle avait une fille et une petite fille.
Assise
en lotus face à ses élèves elle encourageait à écouter son
propre corps, dirigeait le geste sans le forcer, redressait parfois
la posture à chaque fois cela apportait un soulagement. Des fidèles,
des habitués de son cours, deux anciens : un homme, une femme,
et lorsque Claudia leur demanda d'accomplir la salutation au soleil,
un silence d'une qualité rare. Une danse que chacun faisait pour soi
et pourtant ils l'accomplissaient ensemble, dans la pièce qui
n'était plus qu'espace une onde à deux bras se mouvait, cela se
rencontrait.
Elle
revenait tellement neuve de ce cours de yoga où aucun bavardage ne
venait perturber.