J’ai
vécu de longues années dans ce territoire. Il est vaste, d’un
bras de la rivière à l’autre, jusqu’à la mer, cette étendue
sans fin d’eau qui se lève, se soulève et retombe en fracas.
Bien
que les deux pattes y passent et même pour certains y restent la
journée, c’est notre domaine.
C’est
cela que je vais, maintenant, vous raconter : l’histoire de ma
deuxième vie. Celle que j’ai choisi, même si au début on ne m’a
pas laissé le choix, et même si pour finir… Enfin, la fin, c’est
pour après, chaque chose en son temps.
Je
n’étais pas seul contrairement à ce que j’avais cru.
La
première rencontre a été difficile, ils étaient cinq, hargneux,
occupés à dévorer une carcasse. Je n’ai pas insisté, je ne
faisais pas le poids.
Je
l’ai vu de loin. C’était une fille, je l’ai reconnue à
l’odeur, un peu comme celle de ma mère. Elle m’a laissé
approcher, d’autant que je montrais toutes les marques de
soumission. Nous nous sommes reniflés, comme le veut les bonnes
manières.
« Alors,
te voilà, abandonné petit ? Ils t’ont largué sous le pont,
c’est là qu’ils viennent vous laisser à la tombée du jour ou
juste avant son arrivée… »
Je
n’ai rien répondu, puisqu’elle savait.
C’est
elle qui m’a initié à cette contrée. Elle m’a expliqué les
règles, là où je pouvais trouver à manger. Elle connaissait tous
les bons plans et bien qu’elle n’ait jamais rejoint une des
bandes vivant à l’Oasis (c’est ainsi qu’elle nommait notre
domaine), elle était respectée, et avait ses entrées partout.
Oui,
elle m’a tout enseigné, la vie quoi.
J’ai
appris à fuir les deux pattes. Cela s’est fait naturellement, me
manquer seulement la technique. La vieille, c’est son nom, m’a
montré se cacher dans la journée bien tapis dans les broussailles,
les creux, les coins inaccessibles.
Nous
les observions, de loin, silencieux, donnant l’alerte à la moindre
approche. Je suis devenu un champion du camouflage.
Ce
n’est pas que j’avais de la rancune, ou que j’étais attaché
aux souvenirs de ma première vie, non j’étais, comme disait La
vieille, entré dans la connaissance de la réalité du monde des
deux pattes : trahison, abandon, faiblesse, colère, dépression,
arrogance, indifférence, peur.
Je
n’ai pas de mépris en disant cela, c’est seulement une réalité
de faits, comme le jour se lève après la nuit, et que celle-ci
vient après le jour.
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