Comme
je le disais la nuit venue nous sortions des ravines, les plus
téméraires abordant la route les premiers.
C’était
risqué en rapport avec notre stratégie de camouflage, il y avait
encore des deux pattes qui traînaient dans les parages. Il fallait
redoubler de vigilance, mais cela valait le coup, les premiers
arrivés étaient les mieux servis. Ils n’avaient pas besoin
d’aller jusqu’à l’Enclos.
Il
y avait de quoi se restaurer là-bas, mais c’était compliqué d’y
entrer. Un haut grillage fermait cet endroit, d’où l’appellation
« Enclos ». Il fallait faire un grand tour par la route
et passer là, où veillaient toute la nuit durant, des deux pattes
dans une guitoune.
Certains
d’entre nous avaient opté pour vivre dans l’Enclos, mais La
vieille disait que c’était dangereux. La bande, qui vivait là-bas,
devait le jour durant se mettre à l’abri sur le mont Joie, seul
endroit que les deux pattes ne fréquentaient pas. Là-haut, la terre
était aussi nue que leur peau, pas une ravine, pas un taillis, rien
pour disparaître tranquillement.
La
Vieille disait que s’ils leur en prenaient l’idée, cela ferrait du
vilain. Elle avait raconter, du temps où elle avait vécu bien plus
haut que le mont Joie, à la plaine, les deux pattes avec des fusils
tirant sur tout ce qui bouge, le feu au bout du fusil et la mort qui
survenait rapide ou lente selon la blessure.
Elle
avait vécu cela La vieille, là-haut, à la plaine. Et, faisait-elle
remarquer, le mont Joie prisonnier de l’Enclos, dans sa nudité
absolue, un piège : « Il tient entre ses dents acérées
la nourriture facilement acquise. »
Alors,
bien que j’aie été souvent tenté d’aller rejoindre la bande de
l’enclos, pour la commodité et aussi pour la situation, je suis
resté dans les bas. C’est vrai qu’ils avaient fière allure, les
copains, lorsqu’ils défilaient à la queue leu-leu au bord de leur
montagne. La vieille les appelait «Les indiens ».
Souvent,
elle nous parlait de ces deux pattes, pas comme les autres.
Ceux
là avaient, d’après ses dires, le respect de la terre, des
végétaux, des animaux, mains propres et regard clair.
Ils
vivaient comme nous, à même le sol, se réunissaient la nuit venue
sous le regard de la lune et des étoiles.
Ses
histoires sur les indiens, je ne les aimais pas, à cause de la fin.
Ils ont été massacrés par les autres deux pattes, et les
survivants enfermés dans des enclos. Cela ne laissait rien présager
de bon, et je me disais toujours qu’à force de raconter ces
histoires, elle nous porterait la poisse.
Ainsi
donc nos nuits étaient animées, on se restaurait, puis, on se
rencontrait, des couples se formaient, des petits venaient au monde,
et des vieux mourraient paisiblement de leur dernier souffle. Le
temps passait et cela n’avait aucune importance, nous étions
libres, heureux…
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