samedi 17 décembre 2022

Ma peau de bête (7)

 
Comme je le disais la nuit venue nous sortions des ravines, les plus téméraires abordant la route les premiers.
C’était risqué en rapport avec notre stratégie de camouflage, il y avait encore des deux pattes qui traînaient dans les parages. Il fallait redoubler de vigilance, mais cela valait le coup, les premiers arrivés étaient les mieux servis. Ils n’avaient pas besoin d’aller jusqu’à l’Enclos.

Il y avait de quoi se restaurer là-bas, mais c’était compliqué d’y entrer. Un haut grillage fermait cet endroit, d’où l’appellation « Enclos ». Il fallait faire un grand tour par la route et passer là, où veillaient toute la nuit durant, des deux pattes dans une guitoune.
Certains d’entre nous avaient opté pour vivre dans l’Enclos, mais La vieille disait que c’était dangereux. La bande, qui vivait là-bas, devait le jour durant se mettre à l’abri sur le mont Joie, seul endroit que les deux pattes ne fréquentaient pas. Là-haut, la terre était aussi nue que leur peau, pas une ravine, pas un taillis, rien pour disparaître tranquillement.
La Vieille disait que s’ils leur en prenaient l’idée, cela ferrait du vilain. Elle avait raconter, du temps où elle avait vécu bien plus haut que le mont Joie, à la plaine, les deux pattes avec des fusils tirant sur tout ce qui bouge, le feu au bout du fusil et la mort qui survenait rapide ou lente selon la blessure.
Elle avait vécu cela La vieille, là-haut, à la plaine. Et, faisait-elle remarquer, le mont Joie prisonnier de l’Enclos, dans sa nudité absolue, un piège : « Il tient entre ses dents acérées la nourriture facilement acquise. »
Alors, bien que j’aie été souvent tenté d’aller rejoindre la bande de l’enclos, pour la commodité et aussi pour la situation, je suis resté dans les bas. C’est vrai qu’ils avaient fière allure, les copains, lorsqu’ils défilaient à la queue leu-leu au bord de leur montagne. La vieille les appelait «Les indiens ».
Souvent, elle nous parlait de ces deux pattes, pas comme les autres.
Ceux là avaient, d’après ses dires, le respect de la terre, des végétaux, des animaux, mains propres et regard clair.
Ils vivaient comme nous, à même le sol, se réunissaient la nuit venue sous le regard de la lune et des étoiles.
Ses histoires sur les indiens, je ne les aimais pas, à cause de la fin. Ils ont été massacrés par les autres deux pattes, et les survivants enfermés dans des enclos. Cela ne laissait rien présager de bon, et je me disais toujours qu’à force de raconter ces histoires, elle nous porterait la poisse.

Ainsi donc nos nuits étaient animées, on se restaurait, puis, on se rencontrait, des couples se formaient, des petits venaient au monde, et des vieux mourraient paisiblement de leur dernier souffle. Le temps passait et cela n’avait aucune importance, nous étions libres, heureux…





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