lundi 19 décembre 2022

Ma peau de bête (8)

 
Un jour je me suis aventuré bien avant la tombée de la nuit, vers la route d’en haut, celle qui fait tant de bruit, près des jambes du pont.
J’étais dissimulé dans le fossé, assez loin de mes habitudes. J’avais pisté jusque là, un rat, et j’avais plongé dans le fossé qui jadis m’avait reçu pour la fin de ma première vie, en entendant un deux pattes arriver. J’attendais que le calme soit revenu, lorsque je l’ai vue arriver.

Elle venait de la route d’en haut. Malgré son état pitoyable de maigreur, elle était belle. Sa robe beige avait des reflets chauds, ses longues jambes sur lesquelles elle chaloupait m’ont donné le vertige. Quand elle fut plus près, j’ai vu ses yeux dorés et là j’ai fini de succomber.
Je l’ai appelé doucement, histoire de ne pas l’effrayer. Mais elle n’était pas farouche, elle est venue vers moi, tranquille. Elle parlait avec un drôle d’accent, un langage rigolo avec des mots qui semblaient là juste pour faire joli.

Elle m’a demandé s’il y avait dans le coin quelques maisons, et si je pouvais lui en recommander une où les habitants pourraient l’accueillir.
Elle m’a expliqué qu’elle s’était perdue dans la forêt, je ne savais même pas ce qu’était une forêt.
Elle m’a raconté les arbres, si nombreux, si proches. Elle m’a parlé des odeurs si particulières en cet endroit, des sentes qui partent dans tous les sens. Elle y avait été avec ses maîtres, et s’y était perdue. Plusieurs semaines durant, elle les avait cherché, se nourrissant de quelques rats et souriceaux fréquentant l’endroit.
Elle avait eu soif, faim, avait renoncé à sa quête, ou tout du moins avait décidé de trouver une demeure pour y trouver de l’aide. Elle disait porter en son corps une puce qui permettrait de retrouver ses maîtres. Je lui fis remarqué que des puces j’en possédais des centaines et que jamais cela ne m’avait permis de trouver de bons deux pattes.
Elle se mit à rire, encore plus belle. Je ne comprenais rien à son histoire de puce, unique, précieuse. J’étais tellement ému, de plus en plus, que je ne pouvais articuler deux mots intelligemment.
Alors je l’ai conduite jusqu’à La vieille, qui n’a pas manqué de me faire remarquer que de partir avant la tombée du jour ça manquait de clarté.

Ce n’était pas mon jour, question intelligence. Mais pas d’importance, j’avais la conviction que ce jour là était vraiment particulier, qu’il marquerait ma vie, ma vie de chien, d’une manière décisive.
Il n’y avait rien de raisonnable en cela, c’était comme le flot impétueux de la rivière après les fortes pluies, pas moyen d’y résister.




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