« Allez mamie ! Il faut que j'y aille Mamie. »
Sa voix est belle
Posée, grave...
Et le voilà parti !
Mais à l’écart, un poussin solitaireCelui-là a comprisDéjà s’est lancé dans l’aventureIl gratte, gratte avec ses petites pattes !
Nous sommes passés près de l’école, celle qu’il fréquentait encore l’année dernière que le voilà au collège. Cet été la mairie a fait des travaux, oh non ils n’ont pas agrandi l’école, ils ont dressé tout autour de hauts murs de parpaings, si haut qu’on ne voit plus la cour de récréation.
Bon sang ! Nous ne disons rien, c’est tout à fait inutile. Et puis ça vient comme ça, au bout d’un moment de lassitude :
« Écoute, des murs comme ça, les hommes vont en construire de plus en plus. Ce qu’ils ne savent pas c’est que ces murs toujours plus hauts vont s’écrouler comme s’écrouleront tous les barrages sur le fleuve du vivant. Écoute encore, tu n’auras pas peur parce que je te montre là, VOIR. Tu n’auras pas peur et tu ne nourriras pas de rancœur pour ceux qui construisent tous ces murs. Eux ne voient pas. »
Il parle de son autre mamie, il s’inquiète pour elle.
– Tu sais elle a peur, elle a peur d’aller à l’hôpital, peur d’entrer dans les cimentières, elle a peur de mourir.
– Ben elle est croyante, elle a juste à s’en remettre à son dieu.
– C’est qu’elle a peur d’aller en enfer !
– Ah, j’avais oublié ça, mais oui tu as raison, ils ont peur du jugement dernier.
– Même qu’à l’école les enfants disent que si tu marches à reculons, tu marches avec le diable.
– Oh ?
– Oui, je suis bien content de pas croire en dieu !
Nous avons été avec Maxime, faire cette promenade en haut de la montagne par le chemin rouge, il y avait un silence comme il y a longtemps que je n’avais perçu, comme un écho à autre chose, en ouverture !
Le soleil descendait, ici il se couche vite. Sur l’océan un voile de brume, mais le ciel était clair et les sommets étaient dégagés.
Nous avons décidé de rentrer, et brusquement derrière nous, une galopade de nuages surgis de nul part. En quelques secondes, nous étions encerclés par cette valse pressante, un ciel noir et chargé, nous poursuivant.
Le petit a pris peur, il disait « Les nuages se chargent de pluie ». Il ne comprenait pas ma joie devant ce spectacle si vivant de la nature.
Nous sommes arrivés juste à temps à la voiture, et l’enfant capricieux et malheureux de l’après midi avait disparu, il était là si doux, si gentil, prévenant, et me disant des choses douces.
Tellement authentique, touché, lui aussi, par l’intensité du vivant.
Les lianes se sont échappées du terrain cultivé et l’enfant, qui est si grand pour son âge, m’a aidée à cueillir quelques grenadilles bien mûres.
Ce matin, en vélo, il file devant. Le voilà qui revient, quelques fruits dans une main :
– Une excursion chez le voisin.
– Ah, non, il ne faut pas entrer chez les gens !
– Pourquoi ? C’est pas bien ?
– Écoute. On appelle ça, "propriété privée" et la loi des hommes en interdit l’accès. Les animaux se font des territoires qu’ils marquent de leurs urines et excréments, c’est une question de survie, une question d’interactions vivantes. Rien n’est figé dans le règne animal, c’est comme ces lianes qui s’échappent.
Les hommes pensent qu’ils sont supérieurs aux animaux et les traitent bien mal. Tu vois les vaches là-bas, attachées nuits et jours qui se chient dessus ? Les hommes, eux, ont fait des clôtures de barbelés, de hautes murailles, faisant les propriétés privées de liberté. Ils ont oublié qu’ils étaient venus pour autre chose que la répétition, si bien qu’ils sont dans la destruction. Ceci dit, il nous faut vivre en paix avec eux, surtout quand on ne voit pas les choses comme eux.
– C’est de la lâcheté ça !
– Non c’est de l’intelligence, si tu les affrontes, tu n’obtiendras que la guerre. Et ce n’est pas ce que tu veux. Invisible à leurs yeux, je cueille les fruits, les brèdes, et me nourris de ce qui n’appartient pas. Tu comprends ? Ce qui n’appartient à personne, à la nature toute entière.