Elle
raconte...
"Je
venais pour faire le ménage dans la chambre lorsque je remarque une
énorme chenille qui grimpe sur la vitre derrière le rideau.
Je
la dérange un peu, manœuvrant la fenêtre, puis je la surveille
tout en faisant le lit. Je me dis que les états d’âme changent
vite de couleurs, il y a quelques minutes j’étais dans la
grisaille de la séparation, et me voici dans les roses de l’espoir.
Une
chenille ! Un papillon ! Peut être même pouvoir être
témoin de ça, ici même dans la chambre où le corps s’endort
tous les soirs.
Pas
d’emballement, regarde, là encore il pourrait y avoir cause de
déception, attend pour te réjouir de savoir si vraiment elle
s’installe là pour faire son cocon. Alors oui, chaque jour tu
pourras observer cette magnifique transformation, l’entendre vibrer
doucement à son propre rythme, être cela puisque tu es là.
Mais
avant ne va pas construire château en Espagne ! C’est quand même
ta spécialité, un tel enthousiasme ! Il avait raison, celui
qui sans cesse te disait « Toi si tu étais poisson tu
mordrais à l’hameçon à chaque occasion ! »
Bon,
là, j’attends, et d’avance j’accepte puisque j’attends.
Elle
a disparu, le temps d’écrire les mots ci-dessus ! Je l’ai
cherchée, ne pas la blesser si elle se trouve en quelques
encoignures. J’ai retrouvé ainsi des margouillats et de petits
crapauds écrasés par inadvertance. Et puis je veux savoir où, en
si peu elle a pu aller.
Peine
perdue, il faut se rendre à l’évidence, elle est introuvable.
Alors
se dire que c’est à cause de ces mots, ces mots de trop que l’on
s’est empressé d’écrire. Deux pies bonheur, une pie malheur !
Non,
cela est prêté aux mots un pouvoir qu’ils n’ont pas !
Juste voir le mystère de cette apparition et de cette disparition,
mystère puisqu’on ne sait pas.
La
couleur rose s'assombrit. Ah, l’attente n’est pas innocente, elle
porte en elle le germe d’autre chose ! On ne décide pas du
renoncement, c’est encore reporter dans le temps, jeux de la
pensée, histoires que l’on se raconte.
Alors
les mots ?
Chut,
pas de réponse à cette question, ce serait encore
projeter de l’avant.
Et
dans ce silence, Voir que cette chenille n’a disparue qu’aux yeux
aveugles. Elle est là, quelque part, à poursuivre son propre
cheminement en un lieu plus propice pour sa métamorphose. Juste que
là où elle est, je n’y suis pas.
J’entends
l’ami, me dire : « Tu es ce que tu observes. »
L'observation ne se poursuit t-elle pas au delà du regard ?
Oui,
lui vit cela, et il le met en mots, ce n’est pas mensonge. Mais ces
mots ne sont pour moi qu’une description, ils ne me permettent pas
de Voir, juste me donner l’illusion dans un moment d’égarement.
L’amour
n’est pas cela, il est ni de vouloir changer l’autre, ni de lui
donner ce qu’il n’a pas. On aimerait tant que cela soit
possible !
Il
n’est pas non plus vouloir le rejoindre là où il en est, devenir
pour mériter. Il n’est pas marcher l’un vers l’autre, qu’à
chaque pas on s’éloigne de la vérité...
Ah,
j’ai retrouvé la chenille, elle se tortillait sur le
carrelage du salon. Je l’ai doucement attrapée pour la porter
ailleurs. Mais où ? Je suis ignorante, de ses besoins.
Dans
l’ombrière, au milieu des plantes, je l’ai déposée. Elle est
jaune, pointillée et zébrée, elle pointe un dard qui doit se
vouloir menaçant.
"Te
voilà libre d'aller à ta convenance."
Sa
convenance ? S'enterrer dans la terre. C'est qu'elle ne savait
pas que certaines chenilles entrent dessous pour le travail de la
métamorphose... il y a tant de choses que nous ne savons pas, faute
d'écouter, de regarder, faute d'attention, faute de silence. Nous
sommes tellement agités d'émotions, de peurs, de désirs, de refus
de ce qui est.
Participation à Mil et Une , merci ...
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