Deuxième
extrait du livre "Le biomimétisme"
de
Janine M.Benyus
"…
Des champs de blés se dressent de tous côtés, à perte de vue,
rangées rectilignes faisant alterner le vert et le marron. Du ciel,
ils doivent donner l’impression d’avoir été taillés par une
machine de mort, tant leurs bords forment des angles impossibles à
retrouver dans le vivant. Entre les tiges, le sol est clairement
visible, la moindre mauvaise herbe ayant été pulvérisée de
produits chimiques. Rein d’autre que le blé n’est autorisé à
pousser ici ; toute forme de diversité a été arrachée.
…. Aujourd’hui,
nos cultures sont si dépourvues de la capacité d’adaptation de
leurs ancêtres sauvages qu’elles ne peuvent se passer de nous et
de nos transfusions pétrochimiques d’engrais et de pesticides.
Dans notre quête d’une production toujours plus importante, nous
leurs avons ôté leurs défenses naturelles. Nous les avons isolées
de leur groupe plurispécifique, nous avons restreint leur diversité
génétique et privé leur sol de sa santé.
…
Parmi
ces méfaits, avoir ainsi appauvri les sols constitue, notre plus
grossière erreur. La couche arable est, pour l’essentiel, non
renouvelable. Une fois érodée ou empoisonnée, elle peut mettre des
milliers d’années à se régénérer. Plutôt que d’opter pour
une communauté végétale pérenne et autosuffisante qui
conserverait à l’abri toutes les richesses du sol, nous avons
choisi la culture des annuelles, qui nous oblige à le remuer chaque
année.
Chaque
fois que nous labourons le sol, nous l’amoindrissons, le privant
d’une capacité à faire pousser des cultures. Nous faisons voler
en éclats son architecture complexe et perturbons sérieusement
l’équipe de rêve formée par la microfaune et la microflore….
Les
champignons qui enroulaient autrefois leurs filaments autour des
radicelles pour étendre leur portée, les organismes utiles du sol
qui coexistaient en bonne intelligence, les bactéries qui
transformaient l’azote aérien en nourriture ne sont plus présents
qu’en nombre très réduit, et ne sont plus que l’ombre
d’eux-mêmes. Les liens qui les unissaient ayant été rompus, il y
a moins d’efforts individuels, moins de cette force issue de
différentes espèces travaillant, dans une entente biologique, au
profit de la communauté toute entière.
Les
prairies fertiles et sauvages qui parsèment encore, en petit nombre,
les grandes plaines, donnent une idée imparfaite de ce que nous
possédions. Dans son livre Grassland, Richard Manning qualifie ces
vestiges de "socles taillés par la charrue". Du haut de
certains de ces socles, autrefois à la même hauteur que la terre,
presque un mètre vous sépare désormais du sol labouré. Telle est
l’ampleur de notre perte.
A
d’autres endroits, la couche supérieure de la terre est si fine
que nos charrues la mélangent avec le sous-sol, qui n’a pas la
même histoire organique que la couche arable. Le vol qualifié
qu’est la moisson retire de ces champs davantage encore de matières
organiques. Même aux endroits où le chaume est retourné avant la
plantation, les substances nutritives sont souvent perdues, de fortes
averses les rejetant au loin avant qu’aucune plante ne soit
visible.
…
Un
sioux qui observait un laboureur retourner les racines d’une
prairie aurait secoué la tête et dit : « Elles sont
maintenant dans le mauvais sens ». Prenant les sages pour des
arriérés, les colons se racontaient cette anecdote en riant,
ignorant les mises en garde émises à chaque racine retournée.
Annonçant
la réponse à la faim dans le monde, les phytogénéticiens ont
dévoilé de nouvelles souches de cultures hybrides, promettant des
rendements prodigieux. Cependant (en raison, justement, de leur
nature hybride) ces nouvelles plantes ne transmettent par leurs
caractères génétiques d’une génération sur l’autre. C’est
ainsi que les agriculteurs du monde entier ont renoncé à la
tradition consacrée consistant à mettre des semences de côté, et
ont ajouté une nouvelle dépense à leur registre d’achat :
celle des semences hybrides."